vendredi 14 décembre 2012

Sous le sapin: La nouvelle Breguet 7047 Tradition Tourbillon




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L’horlogerie, c’est un anachronisme fait art.
C’est l’art de déployer des trésors d’inventivité, de technique, de savoir- faire; c’est extraire la quintessence du travail des ingénieurs et des horlogers pour composer des odes à l’inutile.



Quand on écrit qu’une montre est paradoxale, c’est toujours flatteur, le paradoxe étant l’un pilier de l’uchronisme.
Or, la Breguet 7047r est sans doute la pièce la plus uchronique de l’horlogerie.

Stylistiquement c'est un anachronisme, car elle rend hommage (et j’insiste sur ce mot, qui ici n’est pas galvaudé) à un style mort avec l’horlogerie Française, celui des montres à souscription de Breguet, un style qui à certains égards était déjà urbain et ultramoderne selon les critères du XIXème siècle. En opposition avec un certain bucolisme Helvète.



 Mais c’est aussi horlogèrement uchronique : c’est le télescopage du haut Moyen-Age avec le Cyberpunk :
 -En 1490, Leonard De Vinci invente le concept de la Fusée-Chaîne  (faite à l’époque en boyau animal).
 -Vers 1790, A.L Breguet invente le Tourbillon et le dépose le 26 juin 1801, soit le 7 Messidor An IX révolutionnaire.
 -En 2000 émerge le concept du silicium appliqué en horlogerie (Nivarox, Ulysse Nardin, De Bethune).

A la renaissance, les ressorts sont préhistoriques,  le tableau périodique des éléments n’est même pas imaginé, la sidérurgie moderne balbutie et l’alchimie est une science. La Fusée-Chaîne permet alors de réguler les fortes amplitudes des ressorts « home made », comme le fait un dérailleur de vélo: L’augmentation du diamètre actif de la fusée (« la roue en 3D ») compense la diminution de la tension de la chaîne, permettant à cette dernière de rester constante.
Mais sous le renouveau des lumières, la métallurgie progresse fortement, les ressorts sont beaucoup plus stables…
Et Jean-Antoine Lépine constate en 1770  que ceux-ci sont d’assez bonne qualité pour supprimer la chaîne fusée; il va donc inventer le calibre d’architecture moderne, avec une platine et des ponts.



Dans la tourmente de la révolution Française, Abraham-Louis Breguet dépose le brevet du tourbillon. Ses motivations sont parfois sujettes à caution : cherchait-il une meilleure lubrification ? Voulait-il améliorer les performances chronométriques en permettant à l’échappement d’être mobile ? Cette théorie est la plus communément admise, d’autant que les montres de l’époque se portaient verticalement et que la gravité pesait sur l’échappement.
A l’instar de la chaîne fusée, le tourbillon est devenu quelque peu désuet. A cause d’une part de l’invention de la montre bracelet et de ses multiples positions et d’autre part de l’industrialisation, qui a remplacé le travail des meilleurs régleurs par le travail à la chaîne sur des mouvements bien plus standardisés.

Au tournant des années 2000, c'est l'émergence du silicium; ni métal, ni plastique, ce matériau de synthèse est destiné à repousser les lois de la physique, limitées depuis le début de l’horlogerie par le manque d'homogénéité et le poids des alliages.
Technologie révolutionnaire pour certains, glas de l’horlogerie traditionnelle pour d’autres, source de polémiques intarissable dans tous les cas...



Cette Breguet Tradition 7047, c’est donc le comble du paradoxe de l’horlogerie :
En effet, elle synthétise la technologie médiévale, la grande tradition horlogère et le post modernisme horloger mécanique.
Mais c’est aussi une montre à grande complication qui n’est pas compliquée !
A l’exception de la réserve de marche…
En effet, seules les fonctions ou les affichages supplémentaires sont définis comme des complications par l'orthodoxie horlogère.
Mais les améliorations de la chaîne d’énergie, tant de l’échappement (ici le tourbillon) que du couple de barillet (donc la Fusée-Chaîne) ne sont pas stricto sensu des complications.
Pourtant, l’élaboration du calibre avec ces centaines ( ????) de pièces, ses 43 rubis et son usinage faisant appel aux technologies de pointe (notamment pour le spiral), relève d’un niveau de complexité inédit jusqu’à présent.
Rhétoriquement c’est donc une montre « Complexe » et non pas « Compliquée ».

La 7047 est ultra-démonstrative, on suit avec un œil fasciné la course de la chaîne, jusqu’à la rotation hypnotique du tourbillon 1 minute. Cette chaîne est d’ailleurs beaucoup plus grosse que celles de la concurrence, et résonne parfaitement avec le grand balancier en silicium (13mm) et la subséquente très grande cage (17mm) en titane.
L’ensemble a le bon goût d’être monochrome dans les tons gris, impossible de savoir que l’organe régulant est en silicium au premier examen.
Tout est donc surdimensionné, ce qui cadre parfaitement avec le fini sablé très propre et très brut. C’est le contraire d’une montre de premier communiant. C’est même, pour aller plus loin, un autre style que celui qui prévaut habituellement dans le haut de gamme. Là où il faut une loupe pour apprécier les anglages d’une Dufour, ici il faut tenir la montre à bonne distance, tant son style vocifère. Sans être une montre « Show-Off », elle impressionne néanmoins au premier coup d’œil, impossible de l’oublier.



La particularité de cette version est qu'à l'instar de la Breguet Tradition 7057 non tourbillon, ses ponts bénéficient d'un traitement à l'or rouge.
Et c’est à mon sens le coloris le plus abouti pour cette pièce, la version or blanc étant trop froide, la version ruthénium trop moderne et la version or jaune trop vintage. La version or rouge combine l’aspect vintage de l’or jaune et le dynamisme du ruthénium. La chaleur de l’or rouge contraste avec les ponts abrupts. De dos, c’est la plus belle de la collection Tradition.  
Et c'est probablement la plus aboutie de la série: la 7027 était très belle, mais un peu sage; la 7057 s’encanaillait un peu mais cette 7047 est carrément bestiale !
Ici, Breguet n’a pas cherché à faire beau. Ils ont cherché à faire Abraham-Louis Breguet : tout est décentré, désaxé, le tourbillon occupe autant de place que le cadran de l’heure, du fonctionnalisme avant l’heure.
Ils touchent ici à la quintessence des esthétiques des pièces d’Abraham-Louis où l’efficace est plus important que le beau.

En supprimant la Fusée-Chaîne, Lépine souhaitait faire des montres plus plates et pendant longtemps l’ultraplat a été le fer de lance du bon goût horloger. Cette mode a atteint son paroxysme dans les années 60’, avant la crise du quartz. Le quartz aidant, l’ultraplat est devenu commun, donc moins sexy.  Les années 2000 on marqué la consécration de la tridimensionnalité en horlogerie. Devenue œuvre d’art, la montre se devait de s’extraire du simple tableau pour devenir une sculpture.
Or, cette 7047 avec sa Fusée-Chaîne est un retour aux sources de la tridimensionnalité, où l’épaisseur se justifie techniquement par la régularité du couple.
Bien entendu cela rend la montre plus épaisse. Mais la marque a usé d’un artifice bien légitime : le verre saphir est bombé et ainsi la carrure n’est pas trop épaisse par rapport au diamètre. De surcroît, cela permet d’admirer le tourbillon 1 minute dans les axes latéraux, angle de vue difficile accessible avec un verre plat. ette configuration, qui combine carrure fine, verre bombé et lunette fine (à l'image des Montres de poches du XVIIIéme); présente un autre avantage en permettant à la lumière de mieux pénétrer dans le mouvement.
Ce verre bombé permet donc de faire passer la pilule de l’épaisseur du mécanisme sans recourir à un boitier XXL…
En fait, il ne faut pas confondre l’épaisseur réelle avec le verre, 16.6mm et l’épaisseur perçue au poignet, autour de 13mm.



Au-delà de l’esthétique radicale et totalement en phase avec les attentes des passionnés (les platines sablées, il fallait oser!), il y a la question de la technique.
Avec un barillet classique, le couple optimum est obtenu dans la première moitié de la réserve de marche. Mais juste après que la montre ne soit remontée à fond ainsi que dans la seconde moitié de la RdM, l’énergie est distillée de manière moins linéaire. Avec cette 7047, le couple est quasiment constant quel que soit le niveau de la réserve de marche.

C’est un donc une énergie stable qui parvient à l’organe réglant. Ce dernier vibre à 18000 a/h et le tourbillon fait une rotation en une minute, ainsi que l’orthodoxie le préconise.
Cette énergie constante est régulée par un spiral en silicium à courbe terminale Breguet. Le but initial de cette forme était de réduire le moment d’inertie du ressort. Mais grâce à la légèreté du silicium, cette inertie a été drastiquement réduite. La courbe terminale Bréguet est donc moins vitale que dans une vintage avec un spiral en acier et un balancier en laiton.
Mais avec ce dispositif un peu redondant, l’objectif n’est-il pas plutôt d’optimiser à fond l’existant ?
Est-ce qu'il n’est pas pleinement légitime de fournir une technologie de fusée spatiale dans une pièce de ce prix ?



Le terme « technologie aérospatiale » n’est ici pas usurpé du tout: à cause de la courbe Bréguet, le spiral en 3D doit être une plaie à usiner, car le silicium ne peut être ni tordu, ni plié, ni modifié. Le spiral doit sortir de la gravure ionique (DRIE en anglais) dans sa forme définitive, avec un bout qui passe au-dessus de l’ensemble.

La partie la plus étonnante, c’est les vis du tourbillon. Les éléments sont en fait tellement optimisés à la base, entre le couple constant et un ensemble balancier/spiral en silicium théoriquement parfait, que les vis de réglage en or du tourbillon en titane semblent un peu superflues… Peut-être qu’il n’est pas possible d’obtenir le même niveau de précision dans l’usinage avec du titane…
La dernière question que soulève ce bloc d’échappement si particulier, c’est la question de la légitimité :
qu’aurait-on dit s’il n’y avait pas eu de courbe Bréguet ?
Pire, ne pas mettre de courbe Breguet sur le spiral, fusse-t-il en silicium, ne serait-ce pas une hérésie dans une montre de l’inventeur du spiral Breguet et du tourbillon ?



Le débat sur la place du silicium et le rôle du tourbillon ne trouvera pas sa réponse aujourd’hui.
Car cette montre se veut un produit de synthèse à tous point de vue, entre le pinacle de la technologie du XVIème, du XIXème et du XXIème siècle.





jeudi 29 novembre 2012

FP Journe Chronomètre Optimum



Il y a quelques jours chez Sotheby’s, la Space-Dweller de George Daniels a été propulsée sous le marteau de Geoffrey Ader au tarif forcément astronomique de 1.6 millions de CHF. Cette montre de poche affichant le temps sidéral et le temps solaire a la particularité d’embarquer un double échappement, spécialité de George Daniels directement inspirée par les travaux d’Abraham Louis Breguet, notamment l’échappement dit « naturel ». 
Feu George Daniels était l’un des dépositaires les plus légitimes de l’œuvre d’Abraham Louis Breguet, mais son échappement naturel est le moins connu des trois systèmes développés à cette époque :

-L’échappement classique à ancre que l’on retrouve dans 99% des montres contemporaines. Il présente le double avantage d’une relative précision, en égrenant chaque mouvement du balancier, mais aussi d’une bonne robustesse. Il a cependant le désavantage de nécessiter une lubrification importante, car il s’agit d’un échappement indirect. 

-Le rare échappement à détente équipe principalement les chronos de marine et certains chronomètres de poche vintage. Son réglage est ardu et il est très sensible aux chocs, car il ne transmet le signal du balancier qu’une seule fois par aller-retour. 
Ce type d’échappement pourrait connaître un renouveau avec l’essor de la haute fréquence et des nouveaux systèmes antichocs ; ces solutions pourraient permettre de pallier à sa sensibilité aux chocs et aux mouvements trop brusques. 

-Enfin, l’échappement naturel à double roue ; s’il combine les avantages de l’échappement à détente et de celui à ancre (échappement direct + chaque impulsion transmise), il comporte également les défauts de ces derniers, c'est-à-dire une relative fragilité et une usure prématurée due à sa complexité mécanique qui génère davantage de frottements. 

Si le « naturel » est rarissime, il n’est pas complètement oublié. Il est périodiquement implanté par des horlogers de talent et récemment par la maison Ulysse Nardin ou encore Karsten Fraesdorf, Laurent Ferrier, Kari Voutilainen. Et maintenant François Paul Journe, avec le premier échappement naturel à deux roues fonctionnant sans huile et le seul à démarrer de façon autonome.

Après plusieurs pièces surprenantes, FP Journe revient à ses premiers amours avec le «Chronomètre Optimum», lequel s’inscrit dans la continuité du travail d'Abraham Louis Breguet.


Avec un tel nom, la barre est d’emblée placée très haut. Si un chronomètre se définit avant tout par des critères qualitatifs, «Optimum» désigne ici une optimisation totale de la chaîne d’énergie, par un ensemble de dispositifs classiques et moins classiques. 

Dans les dispositifs classiques, on retrouve premièrement le spiral Breguet (ici appelé Philips, mais c’est à peu de détails près la même chose) mais également un double barillet. 


A l’époque, le double barillet était implanté par Breguet pour deux raisons : rendre plus linéaire le couple et limiter l’usure du remontage des montres automatiques. Pour des raisons analogues, F.P. Journe fut parmi les premiers à recourir de manière systématique à ce dispositif dans ses créations. Aujourd’hui, cet excellent système est en voie de généralisation dans l’horlogerie : de Panerai à Omega en passant par Technotime, de plus en plus de nouveaux calibres de manufacture bénéficient d’un double barillet. 

La réelle valeur ajoutée technique de ce «Chronomètre Optimum» n’est pas à chercher sur ce terrain mais dans deux dispositifs déjà rares dans l’absolu (décrits ci-dessous) et dont la combinaison est inédite dans ce cadre. 

Le premier dispositif breveté est le plus spectaculaire. C’est bien entendu la double roue d’échappement dite                   « naturelle ». Sa particularité réside dans le fait que les roues d’échappement sont de diamètres analogues et qu’un travail a été effectué sur « l’ancre » présente entre ces deux roues, afin d'adapter le mécanisme à des critères de marche modernes. 
L’ensemble a été optimisé pour fonctionner avec une amplitude comprise entre 260° et 280°, le meilleur compromis étant conventionnellement de 270° (l’amplitude, c’est le chemin parcouru par le balancier à chaque aller-retour ou oscillation). 


Le second dispositif, encore plus visuel - bien que déjà présent chez Journe - est le « remontoir d’égalité ». Sous ce nom se cache une force constante. Comme vous le savez, le signal fourni par un ou plusieurs barillets n’est pas constant, quelle que soit leur qualité ou le positionnement du dispositif. Le couple délivré n'est pas optimal durant les premiers 5% et les derniers 25% de la réserve de marche.
Le remontoir d’égalité est donc une petite roue munie d’un ressort qui se recharge périodiquement et renvoie un couple constant vers le bloc d’échappement. Il s'agit tout simplement d'un dispositif qui amortit le couple en le rendant linéaire. 
Dans le « Chronomètre Optimum », ce remontoir d’égalité, également breveté, présente plusieurs caractéristiques qui le rendent unique. 
Par-dessus tout, sa périodicité est extrêmement courte, une seconde, ce qui contribue à diminuer les écarts de couple au sein de son ressort interne. 
D’autre part, il est réalisé en titane pour diminuer son poids et donc atténuer les efforts résultants. 


Enfin, esthétiquement il possède plusieurs particularités : 
D’une part, le cadran est ouvert pour que l’on puisse voir la course du remontoir d’égalité. Personnellement j’apprécie, cela me fait penser aux premières Journe du début des années 90', mais certains « puristes des cadrans fermés » n’approuveront pas. 
D’autre part et là encore les avis seront partagés, une roue de seconde morte est accolée au remontoir d’égalité, côté mouvement. 
Pareillement, je pense que ce choix est le meilleur, car d’une part la course saccadée d’une seconde morte a tendance à me rendre hystérique ; d'autre part, elle tourne dans le sens inverse des aiguilles, ce qui est susceptible d'engendrer encore plus de perturbations visuelles, si on porte la montre quotidiennement. Certains pourraient néanmoins apprécier une certaine forme de dandysme, avec une aiguille de seconde morte complètement décalée côté cadran. 


Une réalisation technique magistrale n’est rien sans un visuel approprié et le véritable intérêt de cette pièce réside dans son esthétique particulièrement soignée. J'ai sans aucun doute essayé la plus belle et la plus «Journe» des Journe présentées depuis quelques années. 
La montre impressionne par ses proportions parfaites (40 ou 42mm de diamètre selon le modèle, pour 10 d’épaisseur). 
Sur les wristshots vous verrez une 42mm.  Les plus petits poignets risquent de la trouver un peu grande, mais sur le mien sa largeur relative la rend encore plus fine au porté. J’insiste sur ce dernier point : l’essayage d’une FP Journe est indispensable tant il est difficile de rendre toutes ses subtilités esthétiques à travers l’objectif d’un appareil photo. 
Le grand cadran est judicieux dans ce contexte, car il autorise des sous-compteurs de bonne taille qui ne pénalisent pas la lisibilité. Ce choix met également en valeur les différents éléments de finition, notamment les chiffres peints en relief ou encore le magnifique cadran poudré. 
La montre existe en platine ou en or rouge. J’ai une préférence pour cette dernière variante, car elle arbore un magnifique cadran or rose qui s'accorde de façon très homogène avec le mouvement également or rose. 
Comme vous l’aurez sans doute compris, cette pièce est vraiment attachante et j’ai eu beaucoup de mal à la rendre. 
A mon grand regret, Le prix public de 85K CHF m'a dissuadé de repartir avec … Pour l’instant du moins. 

Ce « Chronomètre Optimum » est donc une grande réalisation de Journe. A mon sens, c'est une forme de retour sur ces fondamentaux : une montre chronométrique, donc un exercice rétrograde d’optimisation absolue d’une technologie désuète. 





mardi 16 octobre 2012

Bulgari, new Octo.


L’intégration du savoir-faire de la Manufacture du Sentier Roth & Genta par Bvlgari n’a pas laissé le web horloger insensible ; certains observateurs étaient sceptiques à l’idée que des modèles comme l’Octo puissent trouver leur place et une légitimité dans le cadre horloger de Bvlgari. Force est de constater que non seulement l’Octo reste au catalogue, mais surtout que son design se voit dépoussiéré et même sublimé.



Le défi qu’a dû relever Bvlgari avec la nouvelle Octo était d’épurer une gamme dont les multiples variantes ne permettaient pas d’extraire l’essence.

Ce qui interpellait dans l’ancien dessin de l’Octo, c’est qu'à l‘inverse de la Nautilus ou de la Royal Oak, la montre était pour le moins complexe au niveau du cadran et parfois trop chargée dans ses déclinaisons les plus colorées.
Et que finalement la foultitude de détails nous cachait l’essence  de cette montre, c'est à dire le contraste entre ses formes géométriques: cercle, carré et octogone.
En nettoyant le cadran de ses sous-compteurs rétrogrades et en supprimant les inutiles vis de la lunette, on arrive à une épure de très haut niveau.
Ce qui surprend pour une montre à vocation habillée, c’est la force de la lunette brossée. Cette puissance est amenée par la bague octogonale qui se situe entre le boitier et la lunette; son poli miroir est assez discret et il faut quelques minutes pour comprendre d’où vient l’impact que dégage la montre lorsqu'on la passe au poignet.







J’ai en fait retrouvé les sensations que j’avais ressenties en essayant une Panerai pour la première fois, il y a de longues années : un mélange de brutalité et de raffinement assez unique et typiquement transalpin. Sans aucun doute, cette Bvlgari Octo a été « italianisée ». Mais comprenons-nous bien, à l’inverse d’une Luminor Betarini, la montre est beaucoup plus raffinée que brutale. Mais alors que dans beaucoup de cultures (notamment en France) on part bien souvent d’un élément brut que l'on transforme à plusieurs reprises, puis que l’on raffine, chez les Italiens on prend un élément brut et on le raffine sans étapes intermédiaires. Les produits concernés ont la particularité de conserver la bestialité de la nature avec un habillage de luxe que seuls les meilleurs artisans savent fournir.  
En conséquence, au porté c'est une pièce intense qui n’est pas une montre habillée classique, mais une montre sport-chic. De ce point de vue, le partenariat avec Maserati est assez cohérent.
Mais contrairement à une automobile Maserati, c’est une montre relativement discrète au quotidien, sans métaux polis, ni couleurs ou finitions tape-à-l’œil, dont la sobre élégance s’adresse à des connaisseurs; d’ailleurs vos proches (non horlophiles) reconnaîtront plus facilement le "Bvlgari" inscrit sur le cadran, qu’ils ne sauront discerner le contraste génial entre la lunette, la bague polie et le boitier. C’est donc un produit qui offrira plusieurs niveaux de lecture en fonction de son public. Cela présentera également un certain avantage pour le nouveau passionné acquéreur d'une Octo Bvlgari: avec l'accroissement de son niveau de connaissances horlogères, il découvrira progressivement les multiples facettes de sa montre.



Le cadran est sans aucun doute la partie la plus paradoxale de cette montre. Malgré un diamètre intermédiaire (41.5mm) et une lunette relativement épaisse, il semble avoir une ouverture énorme ; cet effet est sans doute dû à son traitement laqué, qui fait que le noir très pur et brillant tranche vivement avec l’acier presque blanc du boitier.
Mais si visuellement c’est très réussi, j’espère que cette grande surface de cadran sera exploitée sur de futures variantes afin d'y laisser s’exprimer textures et matériaux, comme par exemple du Lapis-lazuli ou des finitions telles qu'un guillochage géométrique à la Vasarely…



Les aiguilles amplifient l’effet sport de la montre. En choisissant des  aiguilles d'un dessin classique mais avec des dimensions sportives, Bvlgari opte pour un consensus qui s’avère payant. Elles ne sont pas luminescentes et bien que le gain esthétique soit évident, on perd forcément l'avantage de la luminosité de nuit…
La montre reste néanmoins très lisible dans la pénombre, les grandes aiguilles polies réfléchissant la moindre lueur.
Par contre Bvlgari a conservé la date, un choix pratique. Dans les faits, son guichet étant assez mat, il passe inaperçu entre les reflets du cadran et le brossé de la lunette.



Au poignet, c’est beaucoup plus imposant que ne le laisseraient supposer les 41.5mm ; cet effet vient de l’ouverture de cadran et du boitier apparemment carré mais en réalité octogonal. La montre en impose d’autant plus que le bracelet en alligator est très bien fait et qu’il donne un petit côté « poignet de force » à l’ensemble. Je garde par ailleurs une préférence pour le boitier acier, qui contraste mieux avec le noir du cadran. Celui-ci me transporte moins sur la version or rose, je lui préférerais un cadran chocolat noir et un cuir idoine. Mais ainsi qu'évoqué plus haut, la gamme ne fait probablement que débuter et des variantes dans l’air du temps sont en préparation.



Enfin, le dernier point notable et le plus important au regard de la continuité qualitative, c’est le mouvement.
Certes, cette Octo ne bénéficie pas encore, pour l’instant, d’un mouvement de manufacture « in-house ». Elle est équipée du BLV193, basé sur le calibre VMF3000 de Vaucher, personnalisé par Bulgari.
Les caractéristiques de ce mouvement de 11.5 lignes sont assez courantes : 28800 a/h, pour une réserve de marche de 50h environ, délivrée par deux barillets afin d'assurer un couple optimal. Ce calibre a le bon goût de ne faire que 3.7mm d’épaisseur, ce qui garantit la finesse de la montre.
Mais son intérêt réel n’est pas que là : il faut comprendre que le niveau qualitatif de ce mouvement commence là où s’arrête ETA et que même dans les productions de base, on est proche de la haute horlogerie.
Et là où cela devient passionnant, c’est qu’on se rapproche du niveau de finition d’un mouvement de Haute Horlogerie, pour une montre dont le prix est largement inférieur.



Avec ce beau calibre et ce design enfin épuré, cette Bvlgari Octo est plus qu’un hybride réussi. Elle s’inscrit plus que jamais dans la prestigieuse lignée des montres sport-chic décalées des années 70’, créées par un certain monsieur G.

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mardi 9 octobre 2012

Chanel J12 GMT Chromatic



“This is a man's world , this is a man's world”.
C’est sur ces graves paroles que commence la fameuse chanson de James Brown.
Il aurait pu rajouter un couplet sur le web horloger, tant c’est un univers viril. Au-delà d’un certain niveau, le taux de testostérone trouble la vue. Et force est d’admettre que nous sommes passés à côté d’un phénomène socio-horloger majeur : la Chanel J12.
Il faut le dire, de débats de fond sur les cornes des Speedmasters, en véhémentes empoignades sur les Unitas des Luminor, nous avons raté la J12.



Cette montre souffre de deux handicaps majeurs pour les passionnés d’horlogerie: d’une part, ce sont des créations hors des canons masculins; la J12 n’a jamais été une icône masculine downsizée, avec des pierres et un mouvement à quartz; on n'a jamais vu Steve McQueen couvert de suie, ou Stallone couvert de boue porter une J12 … Signe des temps, c’est même l’inverse qui s’est produit: plutôt connotée féminine à sa sortie, certains hommes se la sont appropriée.
D’autre part, elle n’est pas issue d’une prestigieuse maison Suisse d’horlogerie, malgré des motorisations dignes de la concurrence Romande, notamment grâce à des calibres Valjoux ou Audemars Piguet…



C’est d’ailleurs tout le paradoxe de ce désamour pour les marques de mode produisant des pièces d’horlogerie. Aux yeux du web horloger, malgré les grandes qualités objectives de ces montres, le luxe grand public et l'horlogerie de qualité semblent être antithétiques.

Pourtant, sur les lectures de fond la J12 a objectivement tout d’une grande : succès réel, design emblématique, matières novatrices et calibre Suisse. Jacques Helleu à créer cette J12 pour lui, il a néanmoins su faire la synthèse des tendances passées et à venir. Présentée en 2000, elle a immédiatement été un succès auprès de la presse féminine; quelques bons placements produit plus tard et c’était un cas d’école d’une réussite qui ne devait rien au hasard.

La grande innovation esthétique pour une montre de couturier pour femme, c’est d‘avoir proposé un design sport-chic, ce qui a permis de dépoussiérer ce domaine. Ce que Jacques Helleu a compris en dessinant la première J12, c’est qu'en horlogerie les temps avaient changé.
Cette J12 est stratégiquement arrivée au moment où la Rolex Submariner, en s’embourgeoisant, perdait un peu de son aura au profit de marques encore plus militaro-vintage, comme Panerai. De même que le Blue Jeans, en étant récupéré par les femmes, est devenu moulant, le design de l’ultime plongeuse des années 60' s’est féminisé avec la J12, en s’affinant et en se parant d’une immuable et chatoyante céramique.



Ce matériau inusable présente un avantage psychologique non négligeable pour une montre à 5000€ : tous les jours la montre paraîtra neuve, à l’inverse des produits engendrés par le cartel de la fringue jetable…
Comme les femmes n’ont pas encore franchi le cap du plus-que-vintage où l’on délave ses inserts de lunette à la Javel tiède, l'inaltérable céramique tombait à pic.

Coco Chanel utilisait trois couleurs emblématiques dans ses créations: le blanc, le noir et le beige.
Au départ, la céramique de la J12 présentait deux couleurs :

Le noir, qui garde toute son aura tant il reste le plus faible dénominateur commun du style;

Le blanc, qui a été la vraie innovation de la J12 : proposer une couleur immaculée et inaltérable, alors qu’auparavant les montres pour femme avec des bracelets en cuir blanc vieillissaient fort vite et mal.
Le succès de la J12 blanche a été tel, que cette couleur est devenue un peu galvaudée : de Technomarine à Hublot, en passant par d’innombrables sous-marques, tout le monde s’est emparé du blanc céramique.

Le beige : cette teinte reste étonnamment non exploitée par Chanel. Pourtant une J12 en céramique beige mat aurait un énorme potentiel, en surfant sur la vague des habits camouflés.

La nouveauté dont nous allons parler aujourd’hui, c’est la J12 Chromatic GMT, issue de la synthèse du blanc et du noir : roulement de tambours, le gris.

Pendant longtemps, le gris en horlogerie était réservé au très haut de gamme; les grandes complications des maisons les plus prestigieuses se paraient de boitiers en platine, rendus encore plus discrets par de sobres cadrans gris.
Il en allait ainsi du calvinisme Helvète, une débauche de finitions enfermées dans un boitier ultra-luxueux à la sobriété d’un huissier de province. Depuis quelques années la tendance s’est infléchie : on a commencé à trouver des marques qui bravaient la règle implicite, pour proposer des cadrans gris sur des boitiers acier…



Mais la J12 Chromatic va beaucoup plus loin dans la révolution du gris. La couleur oscille du gris normal au bleu ciel, suivant les reflets. C’est presque le chaînon manquant entre le gris mat et le gris métal du titane poli.
Les maillons du bracelet peuvent servir de miroir de poche, tant  ils reflètent la lumière. Au gré de l’éclairage, la montre est très versatile. Sans même consulter les aiguilles, on peut connaître l’heure approximative suivant le type de reflets du bracelet.
L’effet « liquid métal » est assez poussé et très impressionnant; revers de la médaille, comme tous les bracelets polis, les traces de doigts; chiffon doux à portée de main indispensable.

Pour parvenir à cet effet, le boitier de 41mm en céramique a reçu l'adjonction de poudre de titane,  l’ensemble  étant poli avec un matériau plus dur, en l'occurrence des meules revêtues de poudre de diamant…

Si l’aspect est surprenant, le toucher ne l’est pas moins : la montre est ultralégère, sans doute trop pour les amateurs d’horlogerie, car lorsqu'on soulève une montre avec un bracelet métallique, on met une certaine force dans son geste, présumant la masse volumique de l’acier. Mais ici j’ai eu la même sensation qu’avec la RM027 « Nadal », une montre dont le poids ne correspond pas au visuel. Les amatrices de confort seront comblées, tant la montre se fait oublier...    



En dehors du matériau, l’autre évolution majeure du modèle est bien sûr la transformation de la lunette. Alors que jusqu’à présent l’intégralité de la gamme arborait une lunette épaisse et graduée, comme celle d'une plongeuse classique,  la J12 Chromatic GMT dévoile une lunette fine et un grand rehaut biseauté, à l’image de certaines plongeuses vintages, comme les Polaris ou les Kon-Tiki.
Est-ce un nouveau virage stylistique? En tout cas, ça a été une surprise en déballant la montre. Avec sa généreuse ouverture de cadran, elle paraît assez grande au poignet et plus habillée que les J12 traditionnelles. La clientèle féminine va-t-elle suivre ?
C’est très probable, tant les lunettes fines à grand rehaut sont toujours un succès pour les nouveaux clients de l’horlogerie de luxe, comme le prouve le succès de la Navitimer…  Ce rehaut est fixe et bénéficie de 24 index appliqués, correspondant à autant de fuseaux horaires.



Le cadran bénéficie lui aussi d’index appliqués, mais de taille plus conséquente. L’air de rien, il présente un enchaînement de finitions assez démonstratives : brossé circulaire, poli miroir, guilloché, chemin de fer et brossé vertical. Cette démonstration mériterait presque un "livret de l'utilisatrice" expliquant les types et les techniques de finitions, pour l’édification des clientes.

Enfin, le calibre : Chanel communique peu sur ce point, mais on sait que c’est un calibre  automatique Suisse doté de 42 heures de réserve de marche. On peut donc présumer qu’il s’agit d’un pointage Valjoux série 28-XX, avec une aiguille pour le second fuseau horaire.



Cette J12 Chromatic GMT représente une évolution réussie de la J12 ; c’est une gageure, car il est toujours délicat de faire évoluer une icône sans sombrer dans l’auto-caricature…
Les ventes de la J12 sont importantes, la montre est finie et motorisée aux standards de l’horlogerie de luxe, l’icône évolue en douceur.
Il semblerait que le seul défi qui attende encore Chanel horlogerie, soit d’éduquer la gent féminine à l’horlogerie haut-de-gamme, en expliquant le travail fourni pour produire une J12. Ainsi, dans quelques années, on aura la chance de voir s’inscrire des femmes passionnées sur les forums d’horlogerie… ;)
 









mercredi 26 septembre 2012

Tag Heuer Mikrotourbillons



Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, aller au bureau, c’est une longue frustration de 65 km. Je passe devant huit radars chaque matin, sur l'A1, qui relie Genève et Lausanne.
Chaque chevauchée wagnérienne se trouve interrompue par les appareils photo de la maréchaussée helvétique.

C’est tout le paradoxe du système routier actuel et même du système en général. Nous n’avons jamais été aussi performants, mais cette performance est complètement inutilisable du fait de la législation.
Les voitures développent plus de chevaux qu’un char d’assaut, embarquent plus d’électronique qu’un supercalculateur IBM, ont plus de dispositifs de sécurité qu’un avion de ligne. Bref, on n’a jamais été aussi vite, aussi fort et aussi sûr.
Malheureusement, les bords des routes sont constellés de dispositifs répressifs, maniés par d’impitoyables pandores, dont l’objectif avoué est de vous arracher ce précieux papier rose, obtenu dans d’indicibles souffrances.

Moralité, la vitesse, ce n'est plus sur la route!
La vitesse, cette pratique honteuse, honnie, bannie de nos routes, alors qu’elle a tant apporté à notre développement ; et bien, on l’aime encore chez TAG Heuer. Alors, certes, chez TAG Heuer, on l’aime sous forme horlogère,  mais dans son expression la plus pure: toujours plus vite, toujours plus fort.


Cela fait un certain temps que TAG mène la « course à l’armement » des hautes fréquences. L’objectif initial de cette série de développements, était de produire un chronographe COSC.
Or, pour éviter les perturbations, il faut avoir recours à deux organes réglant : un balancier classique à 28800a/h et un organe réglant très haute fréquence pour le chronométrage.
Vous noterez que j’évite sciemment d’employer le terme de balancier pour l’organe réglant du chronographe à très haut fréquence; pourquoi ?
Parce que Guy Sémon, le directeur du développement chez TAG, a rapidement été confronté aux limites physiques du balancier, en développant le Mikrotimer au 1/1000ème de seconde.
Si le Mikrograph, au 1/100ème, fonctionne très bien avec un balancier et un spiral relativement classique, tandis que le Mikrotimer au 1/1000ème ne possède déjà plus de balancier et son spiral très spécifique est assemblé à même la tige….
Sa mise au point fut très difficile;  édité à seulement 11 exemplaires, c’est déjà un collector.


L’équipe de développement a du réinventer la roue (plate !) pour dépasser les limites physiques du spiral. Actuellement, ils sont produits par des laminoirs asservis, mais même cette technologie de pointe arrive à ses limites. La marge d’imprécision sur la largeur des spiraux est de 0.1 micromètre, ce qui conditionne une précision moyenne d’environ 0.99sec/jour, au mieux (les calibres de grande diffusion sont donc en général très précis).
Ainsi, on arrive rapidement aux limites chronométriques d’un spiral classique. Plus la fraction à mesurer est petite, plus la fréquence est élevée, donc plus la durée de chronométrage restant dans les normes est faible. Au 1/1000ème de seconde, la mesure du temps n'est précise que sur une minute environ, contre 100 minutes pour une mesure au 1/10ème. Cela signifie que les temps de "chronographage " n’ont plus de sens au-delà de deux heures avec une fréquence de 4Hz, sans compter, bien sûr, les pertes d’énergie et autres  perturbations.

Donc, produire un chronographe COSC avec le chrono enclenché impose l'utilisation de deux chaines énergétiques indépendantes (ou, si l'on veut être plus-que-puriste, d'une seule chaîne d’énergie avec un système de régulation des  différences de couple).
Et si l’on souhaite produire un chronographe avec une précision supérieure au 1/1000ème, il faut totalement revoir la copie.
Ce qui a été fait avec le Mikrogirder, dont le système de " poutres " oscillantes (inspiré par Huygens, comme le spiral) permet une régulation précise au-delà du 1/1000ème de seconde. Aux fréquences où le spiral devient inopérant, l’organe régulant droit, lui, entre en résonnance et donne un rythme précis.


Entre les trois chronographes à haute fréquence,  Mikrograph, Mikrotimer, Mikrogirder, J’avoue une préférence pour le plus " lent ", le Mikrograph au 1/100ème (souvenez-vous, nous avions eu la chance de photographier celui d’Only Watch : lien ). A l’instar des foudroyantes à fréquence lente (14400 ou 18000a/h), le ballet d’une aiguille très rapide n’est jamais plus beau que lorsqu'il est encore perceptible par l’œil humain. Le ballet du Mikrotimer l'est à peine, et celui du Mikrogirder est totalement invisible: seul le fort bourdonnement nous informe du fonctionnement du chrono.


C’est là qu’intervient, fort à propos, le MikrotourbillonS. C’est le dernier né de la série. Comme son nom l’indique, il s'agit de tourbillons.
C’est un virage intéressant dans la série : jusqu’à présent, la philosophie était "toujours plus vite, toujours plus fort ". Nonobstant les innovations importantes concernant l’organe réglant, c’était une évolution purement " quantitative ", dans la mesure où elle ne faisait que repousser les limites de la fraction mesurable par un chronographe mécanique.  .  Aujourd’hui, l’innovation se fait plus qualitative en combinant l’horlogerie la plus désuète (et donc la plus indispensable) qui soit : le tourbillon avec les échappements à haute fréquence de TAG Heuer.

La montre présente un classique  tourbillon 1 minute associé à un échappement 4Hz, classique lui aussi, pour égrener  le temps, sa rigueur lui permettant d’être certifié COSC, le tout servi par une réserve de marche de 45h.


A contrario, l’échappement du chronographe est exceptionnel à tous les niveaux. D’une part, c’est l'un des rares tourbillons équipés d'un stop seconde, indispensable avec la courte réserve de marche (60 minutes) conditionnée par sa fréquence de 50Hz. Non content d’être muni d’un dispositif d’arrêt, le tourbillon effectue 12 rotations par minute, bluffant! Mais tout ce bloc d’échappement contrôle la grande seconde au 1/100ème, qui effectue un tour de cadran par seconde. Enfin, à l’image du dispositif d’arrêt, ce n'est pas un fait unique, mais c’est rarissime pour un tourbillon, il est certifié COSC.
 A l’arrêt, La MikrotourbillonS est presque placide, avec le poétique ballet du tourbillon 1 minute ; mais à l’enclenchement du chronographe, c’est explosif ! L’échappement du tourbillon devient fou, la grande aiguille des secondes file comme un missile : totalement hypnotique.


Après quelques années de blogging horloger, on est limite blasé, on croit avoir tout vu, on pense que l’horlogerie n’a plus rien qui puisse nous faire encore sauter les plombages…
Mais, là, c’est objectivement la plus grosse claque que j’aie prise avec un chronographe depuis la présentation du Jaeger -LeCoultre Duomètre en platine. En fait, une claque bien plus cinglante: j’avais vu des tourbillons très impressionnants, comme Histoire de Tourbillon 3, présenté il y a quelques mois; des chronos ultra-rapides, comme la série des Mikros de TAG. Mais un tel combo dépasse mes rêves les plus fous, tant c’est bluffant visuellement! La preuve en vidéo :


Esthétiquement, la montre arbore les codes typiques de TAG Heuer. Le boitier (45mm) en or rose et en tantale, est très bien exécuté, le contraste entre les métaux sert bien le propos du mariage entre le classique tourbillon et la haute fréquence. Mais la présence de cornes un poil trop longues est un peu étonnante, considérant la taille déjà respectable de la montre.
Côté cadran, c’est un peu pareil : le décroché qui emmène vers les deux tourbillons est assez original et permet de distinguer de manière élégante les côtes de Genève et les ponts ultramodernes des tourbillons.
La lunette (graduée de 1 à 100 pour la circonstance), aurait gagné à être aussi bien intégrée à l’ensemble que les sous compteurs …


Au poignet, la montre est d’une relative discrétion eut égard à la complexité mécanique du supersonique; sans être une ultraplate d’une maison classique, elle n’est pas aussi show-off que les créations de certains indépendants. 
C’est tant mieux, c’est une très grande complication que l’on peut porter avec la décontraction d’un jeune passionné venant de se payer sa première belle montre, une TAG bien souvent … 

lundi 10 septembre 2012

Heritage & Savoir faire partie 4: Roger Dubuis Manufacture

Publié sur Watchonista.com, le réseau social de l'horlogerie La gangrène de la contrefaçon n’est pas une maladie récente. Elle infectait déjà l’horlogerie au XVIIIème siècle. Pour se prémunir contre l’usurpation de la déjà prestigieuse appellation Genevoise, la corporation d’horlogers de l’époque créa le Poinçon de Genève. Comme le droit commercial de l’époque était plutôt inexistant, les dirigeants de l’horlogerie Genevoise d’alors ont opté pour le saut qualitatif, afin de se différencier. Le Poinçon de Genève était né. Ses critères de qualité étaient suffisamment difficiles à remplir pour permettre de différencier une vulgaire contrefaçon d’une montre fabriquée sur le canton et selon les critères du Poinçon. Ces critères ont été étendus en 2011 à l’intégralité de la montre. Le Poinçon est difficile à obtenir, car il impacte majoritairement les parties non-visibles d’une montre. Cela signifie qu’il faut investir beaucoup d’énergie pour finir des éléments que seul un horloger sera en mesure d’admirer, par exemple lors d’un service. Le Poinçon concerne principalement la finition: l’intégralité des composants ne doit comporter aucune trace de découpe, ils doivent tous subir une finition telle que perlage, étirage, et surtout polissage. Ce travail garantit également une meilleure durabilité des composants. Si l’esthétique est essentielle, à présent le Poinçon de Genève comporte aussi quatre critères de performance : l’étanchéité, la précision, les fonctions proposées, ainsi que la réserve de marche testée dans des conditions reproduisant au plus proche, celles dans lesquelles les garde-temps sont portés par les clients. Les tests de précision chronométrique s’effectuent par comparaison photographique sur un cycle de sept jours. L’écart constaté doit être inférieur à une minute sur la période. En 2011, l’industrie des montres Suisses a produit 29,8 millions de pièces. Seul un million a été certifié par le COSC (par Timelab, qui gère aussi le Poinçon) et 25.000 par le Poinçon de Genève. Sur ces 25.000 montres, 5000 sont produites par Roger Dubuis, soit l’intégralité de la production de la marque. La Manufacture Roger Dubuis est donc dans une situation unique à plusieurs titres. La plupart des manufactures du Canton de Genève se situent sur les sites horlo-industriels de Meyrin ou de Plan-Les-Ouates. La quasi-totalité de ces manufactures disposent d'un ou plusieurs sites, souvent situés dans la Vallée de Joux où à la Chaux-de-Fond; on y produit les « copeaux » qui sont assemblés et parfois terminés dans le Canton de Genève. Mais Roger Dubuis va bien plus loin dans l’appartenance au terroir Genevois: 95% des composants sont produits au rez-de-chaussée du bâtiment de Meyrin. Les seuls éléments produits à l’extérieur sont les rubis, les verres saphir et les boitiers en titane, dont l’usinage entraîne des risques d'incendie difficiles à gérer dans une manufacture généraliste. Une conséquence imprévisible lors de sa création en 1995, c’est qu'il s'agit sans doute de la marque pouvant revendiquer les plus faibles émissions de CO2 par montre produite: en effet, chaque pièce étant transformée et finie dans le même bâtiment, on évite les sempiternels allers-retours entre les divers sous-traitants. Si l’entreprise a été crée en 1995, elle ne s'est octroyé le titre de Manufacture qu'au début des années 2000. La démarche désuète et même chevaleresque (la ligne Excalibur s’en trouve légitimée), a consisté à intégrer toutes les étapes de la création d’une montre avant de se prétendre manufacture. A Genève, on est habituellement plus rapide : pour s’auto-certifier "Manufacture", on attend en général de faire les kits presse in-house. Une fois que chaque atelier était fonctionnel, il se développait horizontalement pour répondre aux commandes. Quand on connait le développement habituel des manufactures Suisses, qui se fait de manière beaucoup plus opportuniste, on peut être étonné par les choix de Roger Dubuis. Mais l’horloger, à l’époque accompagné de Carlos Dias, avait une réelle vision industrielle et horlogère, le choix de construire les fondations avant les murs étant d'une logique imparable. A titre personnel, je connaissais déjà des manufactures de faible volume (RD produit actuellement moins de 5000 montres par an) fortement intégrées, comme De Béthune… Mais le niveau d’intégration de la production Roger Dubuis, avec le Poinçon de Genève, est un fait unique. Et l’obsession du In-house va très loin, car du plus rare composant, le spiral, au plus commun, la vis, tout est transformé et fini en interne. Le plus surprenant, lorsque vous arrivez au RDC de l’immeuble de Meyrin, c’est que vous tombez nez à nez avec des machines à décolleter. Alors certes, au premier abord, une décolleteuse n’est pas très sexy (en tous cas beaucoup moins que certaines finisseuses). Mais d’habitude, même les manufactures les plus prestigieuses délèguent la production des vis à des maisons comme Affolter… Le décolletage est plus connu pour sa production de roues. C’est un excellent moyen d’obtenir un maximum de réactivité lors de la production de ce type de composant, afin d'optimiser les côtes en vue du polissage ultérieur, par exemple. Les roues, pignons et vis vont subir un travail de finition (quasiment toujours du polissage) systématique. Dans les divers ateliers, chaque finisseur est spécialisé dans une catégorie de pièces. Pour finir les dents de roue, par exemple, on emploie des disques faits de divers type de bois, poirier, hêtre, buis… La « meule » est légèrement décalée avec une pièce de bois (en général un cure dent), afin d’obtenir le mouvement excentrique d'une vis sans fin et de passer successivement entre les dents de chaque roue; Le type de bois et l’épaisseur du « décaleur » sont conditionnés par le type de roues à polir. Dans ce genre d’opérations, ce sont moins les temps de polissage (entre 3 et 15 sec.) qui sont longs, que les opérations intermédiaires de protection et de rangement des roues. Ainsi, les pignons sont produits dans l'atelier mitoyen. Par exemple, un pignon de roue requiert 17 opérations de polissage différentes, affectées à un même opérateur. Celui-ci doit donc changer de machine autant de fois que nécessaire, en faisant tous les réglages appropriés à chaque étape. Vu la minuscule échelle des composants en question, c’est un travail de fourmi, au sens propre. L’autre grande activité du rez-de-chaussée de la Manufacture Roger Dubuis, c’est la découpe et la finition des ponts et platines. Les opérations de découpe sont assez courantes et sont en général effectuées sur des blocs de laiton. L’une des spécialités Roger Dubuis, ce sont les magnifiques squelettes, notamment celui du double tourbillon à différentiel. Chez RD, les squelettes conçus comme tels quels dès le départ, sont réalisés directement à la commande numérique; ainsi, toutes les contraintes d'usinage sont calculées d’emblée, ce qui évite la déformation des fragiles platines. Dans un but similaire, les décorations de ces derniers sont effectuées à la machine, notamment à la guillocheuse numérique; en effet, les machines sont plus constantes dans leurs mouvements et plus économes en termes de matériau retiré, une qualité précieuse pour la stabilité d’une pièce squelettée. Quant aux ponts et platines classiques, ils passent systématiquement par l’atelier dit « Poinçon de Genève ». C’est l'un des départements les plus actifs de la Manufacture: plusieurs dizaines de finisseurs s’affairent à rendre beaux tous les composants du mouvement. Les techniques sont assez classiques, guillochage, cote de Genève, polissage (avec des disques en "dessous de chope de bière"). La recherche obsessionnelle de la bienfacture et son application systématique sont toujours aussi impressionnantes. La dernière partie notable au rez-de-chaussée, c’est l’atelier de prototypage. Les horlogers-prototypistes ont toute latitude pour appliquer les plans des concepteurs, avec plusieurs commandes numériques indépendantes ainsi que toutes les machines nécessaire au finissage et à l’assemblage de base; ils sont totalement indépendants en ce qui concerne la fabrication des prototypes. Ainsi, l’activité générale n’est pas impactée, la réactivité et la confidentialité sont maximums. Ensuite, nous avons la chance de visiter le cœur de la Manufacture (métaphoriquement et physiquement: l’atelier est logé au centre même du bâtiment), lorsque nous entrons dans l’atelier où l’on fabrique et l'on assemble les blocs d’échappement. Malheureusement, la porte de l’atelier qui transforme les blocs d’Elinvar en spiraux nous restera fermée. Néanmoins, les horlogers qui assemblent les blocs d’échappement nous confierons quelques secrets. Aujourd’hui, Roger Dubuis utilise deux familles de spiraux: les petits, pour les mouvements à 28800 a/h, et les gros à 21600 a/h, pour les tourbillons. L’assemblage du bloc d’échappement est l’opération la plus stratégique dans le processus de fabrication d’une montre chez Roger Dubuis. En effet, chaque pointage est modulaire et permet l’assemblage et le démontage du bloc d’échappement en une seule opération très aisée. Tout le délicat travail de réglage s’effectue donc dans cet atelier. Les techniciens sont qualifiés au-delà du concevable et la communication avec l’atelier de transformations des Spiraux ne peut être plus directe, une seul porte les séparant. La demi-douzaine de techniciens assemble seulement 25 blocs par jours, soit deux heures en moyenne par bloc. Tout d’abord, les spiraux sont coupés et sertis à la virole; on y ajoute ensuite le balancier et les autres composants. Un bloc d’échappement de tourbillon comprend environ 60 éléments… Cet énorme travail en amont est payant, car il facilite grandement le travail des horlogers et du SAV. Pour des résultats de ce type : Excalibur Tourbillon volant : Excalibur double tourbillon volant : Monégasque Tourbillon : Excalibur 42 : Velvet : Pulsion Chronographe : Monégasque Club : Au cours des nombreuses visites de manufactures que j’ai effectuées ces dernières années, je n’avais jamais constaté une telle démonstration de force, un tel acharnement qualitatif. Si certaines très belles maisons possèdent autant de savoir-faire (mais pas plus), ces compétences sont le plus souvent dispersées sur plusieurs communes. Ici, c’est hallucinant: un seul site, Genevois de surcroît, concentre la quasi-intégralité des métiers et des machines nécessaires à la fabrication d’une montre de haute horlogerie. Finalement, le Poinçon de Genève intégral n’est qu’une conséquence.