jeudi 29 novembre 2012

FP Journe Chronomètre Optimum



Il y a quelques jours chez Sotheby’s, la Space-Dweller de George Daniels a été propulsée sous le marteau de Geoffrey Ader au tarif forcément astronomique de 1.6 millions de CHF. Cette montre de poche affichant le temps sidéral et le temps solaire a la particularité d’embarquer un double échappement, spécialité de George Daniels directement inspirée par les travaux d’Abraham Louis Breguet, notamment l’échappement dit « naturel ». 
Feu George Daniels était l’un des dépositaires les plus légitimes de l’œuvre d’Abraham Louis Breguet, mais son échappement naturel est le moins connu des trois systèmes développés à cette époque :

-L’échappement classique à ancre que l’on retrouve dans 99% des montres contemporaines. Il présente le double avantage d’une relative précision, en égrenant chaque mouvement du balancier, mais aussi d’une bonne robustesse. Il a cependant le désavantage de nécessiter une lubrification importante, car il s’agit d’un échappement indirect. 

-Le rare échappement à détente équipe principalement les chronos de marine et certains chronomètres de poche vintage. Son réglage est ardu et il est très sensible aux chocs, car il ne transmet le signal du balancier qu’une seule fois par aller-retour. 
Ce type d’échappement pourrait connaître un renouveau avec l’essor de la haute fréquence et des nouveaux systèmes antichocs ; ces solutions pourraient permettre de pallier à sa sensibilité aux chocs et aux mouvements trop brusques. 

-Enfin, l’échappement naturel à double roue ; s’il combine les avantages de l’échappement à détente et de celui à ancre (échappement direct + chaque impulsion transmise), il comporte également les défauts de ces derniers, c'est-à-dire une relative fragilité et une usure prématurée due à sa complexité mécanique qui génère davantage de frottements. 

Si le « naturel » est rarissime, il n’est pas complètement oublié. Il est périodiquement implanté par des horlogers de talent et récemment par la maison Ulysse Nardin ou encore Karsten Fraesdorf, Laurent Ferrier, Kari Voutilainen. Et maintenant François Paul Journe, avec le premier échappement naturel à deux roues fonctionnant sans huile et le seul à démarrer de façon autonome.

Après plusieurs pièces surprenantes, FP Journe revient à ses premiers amours avec le «Chronomètre Optimum», lequel s’inscrit dans la continuité du travail d'Abraham Louis Breguet.


Avec un tel nom, la barre est d’emblée placée très haut. Si un chronomètre se définit avant tout par des critères qualitatifs, «Optimum» désigne ici une optimisation totale de la chaîne d’énergie, par un ensemble de dispositifs classiques et moins classiques. 

Dans les dispositifs classiques, on retrouve premièrement le spiral Breguet (ici appelé Philips, mais c’est à peu de détails près la même chose) mais également un double barillet. 


A l’époque, le double barillet était implanté par Breguet pour deux raisons : rendre plus linéaire le couple et limiter l’usure du remontage des montres automatiques. Pour des raisons analogues, F.P. Journe fut parmi les premiers à recourir de manière systématique à ce dispositif dans ses créations. Aujourd’hui, cet excellent système est en voie de généralisation dans l’horlogerie : de Panerai à Omega en passant par Technotime, de plus en plus de nouveaux calibres de manufacture bénéficient d’un double barillet. 

La réelle valeur ajoutée technique de ce «Chronomètre Optimum» n’est pas à chercher sur ce terrain mais dans deux dispositifs déjà rares dans l’absolu (décrits ci-dessous) et dont la combinaison est inédite dans ce cadre. 

Le premier dispositif breveté est le plus spectaculaire. C’est bien entendu la double roue d’échappement dite                   « naturelle ». Sa particularité réside dans le fait que les roues d’échappement sont de diamètres analogues et qu’un travail a été effectué sur « l’ancre » présente entre ces deux roues, afin d'adapter le mécanisme à des critères de marche modernes. 
L’ensemble a été optimisé pour fonctionner avec une amplitude comprise entre 260° et 280°, le meilleur compromis étant conventionnellement de 270° (l’amplitude, c’est le chemin parcouru par le balancier à chaque aller-retour ou oscillation). 


Le second dispositif, encore plus visuel - bien que déjà présent chez Journe - est le « remontoir d’égalité ». Sous ce nom se cache une force constante. Comme vous le savez, le signal fourni par un ou plusieurs barillets n’est pas constant, quelle que soit leur qualité ou le positionnement du dispositif. Le couple délivré n'est pas optimal durant les premiers 5% et les derniers 25% de la réserve de marche.
Le remontoir d’égalité est donc une petite roue munie d’un ressort qui se recharge périodiquement et renvoie un couple constant vers le bloc d’échappement. Il s'agit tout simplement d'un dispositif qui amortit le couple en le rendant linéaire. 
Dans le « Chronomètre Optimum », ce remontoir d’égalité, également breveté, présente plusieurs caractéristiques qui le rendent unique. 
Par-dessus tout, sa périodicité est extrêmement courte, une seconde, ce qui contribue à diminuer les écarts de couple au sein de son ressort interne. 
D’autre part, il est réalisé en titane pour diminuer son poids et donc atténuer les efforts résultants. 


Enfin, esthétiquement il possède plusieurs particularités : 
D’une part, le cadran est ouvert pour que l’on puisse voir la course du remontoir d’égalité. Personnellement j’apprécie, cela me fait penser aux premières Journe du début des années 90', mais certains « puristes des cadrans fermés » n’approuveront pas. 
D’autre part et là encore les avis seront partagés, une roue de seconde morte est accolée au remontoir d’égalité, côté mouvement. 
Pareillement, je pense que ce choix est le meilleur, car d’une part la course saccadée d’une seconde morte a tendance à me rendre hystérique ; d'autre part, elle tourne dans le sens inverse des aiguilles, ce qui est susceptible d'engendrer encore plus de perturbations visuelles, si on porte la montre quotidiennement. Certains pourraient néanmoins apprécier une certaine forme de dandysme, avec une aiguille de seconde morte complètement décalée côté cadran. 


Une réalisation technique magistrale n’est rien sans un visuel approprié et le véritable intérêt de cette pièce réside dans son esthétique particulièrement soignée. J'ai sans aucun doute essayé la plus belle et la plus «Journe» des Journe présentées depuis quelques années. 
La montre impressionne par ses proportions parfaites (40 ou 42mm de diamètre selon le modèle, pour 10 d’épaisseur). 
Sur les wristshots vous verrez une 42mm.  Les plus petits poignets risquent de la trouver un peu grande, mais sur le mien sa largeur relative la rend encore plus fine au porté. J’insiste sur ce dernier point : l’essayage d’une FP Journe est indispensable tant il est difficile de rendre toutes ses subtilités esthétiques à travers l’objectif d’un appareil photo. 
Le grand cadran est judicieux dans ce contexte, car il autorise des sous-compteurs de bonne taille qui ne pénalisent pas la lisibilité. Ce choix met également en valeur les différents éléments de finition, notamment les chiffres peints en relief ou encore le magnifique cadran poudré. 
La montre existe en platine ou en or rouge. J’ai une préférence pour cette dernière variante, car elle arbore un magnifique cadran or rose qui s'accorde de façon très homogène avec le mouvement également or rose. 
Comme vous l’aurez sans doute compris, cette pièce est vraiment attachante et j’ai eu beaucoup de mal à la rendre. 
A mon grand regret, Le prix public de 85K CHF m'a dissuadé de repartir avec … Pour l’instant du moins. 

Ce « Chronomètre Optimum » est donc une grande réalisation de Journe. A mon sens, c'est une forme de retour sur ces fondamentaux : une montre chronométrique, donc un exercice rétrograde d’optimisation absolue d’une technologie désuète. 





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