jeudi 5 juillet 2012

Université d'Eté, patrimoine & savoir faire: AUTOMATES & MERVEILLES Jaquet Droz

Ceci est le premier message de la série Université d'Eté, patrimoine & savoir faire:

Alerte spoiler ! Le texte suivant révèle la majorité du contenu de l’exposition Automates & Merveilles, si vous comptez assister à cette exposition (vous devriez, vu comment il est devenu facile de voyager), ne le lisez pas.  Ajoutez à vos favoris, pour pouvoir comparer avec vos impressions ultérieurement.

“L’écrivain” :




Marc Hayek accueille les convives:


Vous êtes confortablement assis devant votre PC ? Ce matin ou ce soir, vous étiez presque aussi confortablement assis dans votre voiture ? La clim', le porte gobelet, la sono, ou pour les plus puristes, les suspensions hydropneumatiques.
Vous voguez vers le boulot ou la maison, en toute quiétude, sur une mer d’huile, tant les routes sont bien asphaltées.
Quand il s’agit d’aller en vacances, moyennant  quelques pauses et quelques excès de vitesse, ça prend  la demi-journée ; le matin on est en mégalopole, l’après-midi on a les pieds dans l’eau ou dans la neige.
Si le trajet est trop long, hop, on saute dans un avion, et 24 heures plus tard on est sur un autre continent.

Voyager, c’est devenu d’une facilité qui confine à la banalité. Mais à la fin du XVIIIème siècle, c’était une autre paire de manches. Les routes étaient, pour les plus belles, vaguement pavées; le plus souvent, c’étaient de piètres chemins de terre battue ou de pierres concassées ; où les bandits de grand chemin, écumants, faisaient office de feux rouges et de radars.  A dos de cheval ou en calèche, on pouvait parcourir au mieux quelques dizaines de kilomètres par jour, et il fallait se hâter de trouver une auberge, par risque d’être dévoré par les loups.

Pourtant, malgré les cahots, les dangers et les intempéries, tous les grands des cours d’Europe venaient rendre visite à Pierre Jaquet-Droz, en sa demeure perdue dans les montagnes, à la Chaux-de-Fond.
Aujourd’hui un tel engouement peut paraître démesuré, mais il faut replacer l’œuvre de JD dans son contexte historique.
Les androïdes, pièces maîtresses de la collection d’automates de JD, constituent un saut quantique dans l’histoire des calculateurs.
Si une machine d’Anthycitère est le meilleur exemple d’un calculateur antique (elle permettait de faire de complexes calculs calendaires, astronomiques, etc.), elle n'était ni programmable, ni autoalimentée …



Les plus grandes inventions récentes (la DS de 1955, le Concorde, le Macintosh, Internet protocole http), ne furent pas l’invention d’une nouvelle technologie, mais la convergence de plusieurs technologies de pointe, ces combinaisons augmentant exponentiellement les capacités individuelles de chaque invention.
Le réalisme atteint par les androïdes de Jaquet-Droz est tel, que leur créateur  a failli passer sur le bûcher pour sorcellerie, lors d’une des nombreuses présentations en cours royales!




En effet, YouTube n’étant pas encore été inventé en 1758, il fallait se déplacer physiquement pour faire démonstration de son travail. Début avril 1758, Pierre Jaquet-Droz avait déjà 37ans et son travail exceptionnel dans les grandes horloges était connu dans tout le canton. Lord Georges Keith, gouverneur de la province de Neuchâtel et bien introduit dans les cours européennes, permit à PJD d’être présenté à la cour du roi d’Espagne, par l’intermédiaire de Don Jacynto Jovert.
PJD et son ouvrier, Jacques Gevril (qui donne son nom à une marque bon marché de montres Espagnoles), ainsi que son beau-père, Abraham-Louis Sandoz-Gendre (dont le journal narre ce périple en détail)  vont parcourir 1500 km dans un chariot spécialement aménagé pour embarquer six horloges. Ce périple de 49 jours (soit une fantastique moyenne de 30 km par jour, plus lentement qu’à pied),  se solde par une déconvenue.
Le Roi d’Espagne est retenu par la maladie de sa femme Marie-Thérèse du Portugal ; et seule  la providentielle hospitalité de Don Jacyntho Jovert leur permet d’éviter un retour prématuré, qui les aurait laissés fort marris;
Leur bienfaiteur suivant les précieuses recommandations de Georges " Milord Maréchal " Keith,  accueille Jaquet-Droz et ses compagnons avec la prodigalité que l’on accorderait d’habitude à des membres de la famille proche. Nos amis, reconnaissants, vont profiter des trois mois d’attente pour réparer toutes les horloges et montres de la maison du seigneur Espagnol. La générosité de Don Jovert paiera jusqu’à nos jours, son nom étant immortalisé au travers de la résurrection de la maison Jaquet-Droz par le Swatch Group. 

Mme Hayek:


Après le décès de la reine, Ferdinand VI revient aux affaires en septembre 1758. Il faut savoir que le souverain était plus artiste que guerrier et qu'au cours de son règne de 13 ans, il a systématiquement favorisé les arts et la culture, notamment en soutenant le fameux castrat Farinelli.
L’équipe de Jaquet-Droz est alors enfin reçue au palais royal et la démonstration des horloges s'avère triomphale. L'assortiment de six horloges embarqué par  Jaquet-Droz et ses compagnons comprenait les pièces suivantes:

-Une pendule longue-ligne.

-Une horloge avec carillon, jeu de flûtes et serinette (du verbe « seriner »).

-Une pendule appelée " Le Nègre ", qui répondait à diverses questions en frappant sur un timbre, par exemple: quelle heure est-il? (Le fonctionnement de cette horloge reste à ce jour nébuleux).

-Une pendule appelée " La Cigogne et le Renard ". Avec une décoration en hommage à la fable de La Fontaine. 

-Une pendule à " mouvement perpétuel ", se remontant d'elle-même par l'effet de la dilatation de métaux différents (une ancêtre de l’Atmos).

-La pendule " Le berger " et le chien. Ce dernier surveillait une corbeille de pommes. Si on retirait une pomme, il  se mettait à aboyer. Apparemment, l’aboiement était tellement réaliste qu’il entraîna l’aboiement du chien de SAR Ferdinand VI et fit fuir de la pièce quelques courtisans effrayés (le chien du roi semblait plus courageux que les courtisans…). Cette horloge ultra-complexe comporte toute une série de figures articulées, dont un berger, dans un décor champêtre, chaque personnage produisant un son qui lui est propre.

Trois de ces pièces furent vendues pour 2000 pistoles à la cour, une fut offerte à Don Jovert; la " Cigogne et le Renard " ainsi que " le Berger " et son chien, furent offertes au roi Ferdinand VI.   Ce fut sans doute l’un des derniers moments de joie de la vie de Ferdinand VI : celui-ci décédera l’année suivante à 45ans, terrassé par le chagrin de la perte de son épouse…

Cette démonstration éclatante du génie de Pierre Jaquet-Droz se répandit comme une trainée de poudre à travers toute l’Europe,  ce qui lui ouvrit les portes de nombreuses cours.
Du coup, en plus d’être un précurseur dans l’horlogerie, les systèmes d’informations et la robotique, Jaquet-Droz fut aussi un précurseur dans le business horloger (il a notamment beaucoup vendu de montres en Chine, via sa filiale Londonienne).

10 ans après l’exploit Madrilène, Pierre Jaquet-Droz se devait de se renouveler.  Secondé par son fils, Henri-Louis et son fils adoptif et apprenti, Jean-Frédéric Leschot, il mit cinq ans à concevoir quatre automates, dont trois ont été conservés jusqu’à aujourd’hui. 
Le quatrième automate fut un diorama géant, " La Grotte ", représentant un palais taillé dans le roc avec son jardin français, ponctués par une série de figurines animées. Sa grande taille (il faisait une surface de plusieurs mètres carrés) causa sa perte. Durant la tourmente des aventures Napoléoniennes, les trois androïdes changèrent beaucoup de main, au gré des infortunes.  Mais le diorama " La Grotte " était quasi intransportable dans des conditions de sécurité acceptable; selon toute évidence, cela conditionna sa disparition. 


Les trois automates restants sont des summums de créativité et de bienfacture.

Honneur aux dames, le musée d’horlogerie de la chaux de fond héberge la Musicienne. Elle a été principalement réalisée par Henri-Louis, qui achevait alors ses études musicales.

Habituellement, les automates musicaux, comme les oiseaux chanteurs, simulent la mélodie au travers de mouvements silencieux synchronisés via une sonorisation interne, le mécanisme étant généralement situé dans le socle…
La Musicienne va, elle, au bout du concept. Tout d’abord, elle représente une jeune fille à l’échelle 1/1, et comme expliqué précédemment, c’est un androïde: le corps héberge donc le mécanisme qui va actionner les mains et les doigts (tous indépendants) de l'automate. Elle pourrait donc jouer de n’importe quel instrument adapté à sa morphologie.
Elle joue donc réellement du mini-orgue mis à sa disposition, le son est très convaincant…
Mais finalement, quand on regarde la Musicienne jouer, on est si absorbé par la fluidité et la grâce de ses mouvements qu’on ne fait pas vraiment attention à la musique. Le spectacle est réellement bluffant et si c’est mécaniquement la moins complexe du triptyque, c’est la plus émouvante.






Le Musée International d’Horlogerie (MIH) de la Chaux-de-Fond qui abrite la musicienne, mérite qu’on s’y attarde. La Chaux est l’un des centres historiques de l’horlogerie et les montres sont au centre de l’économie et du patrimoine de la ville. Et ce musée, crée en 1902 sur conseil de la Confédération, rend un hommage exhaustif à l’horlogerie, avec plus de 5000 pièces exposées.
En comparaison, le musée Patek compte plus de montres rares et de pures pièces de collection, alors que Le musée de la chaux compte énormément de pièces historiques, voire charnières.

A titre d’exemple, on peut y trouver le fameux planétaire de François Ducommun: c’est un planétaire intégral et presque à l’échelle, qui représente l’ensemble du système solaire connu en 1816 (donc sans Neptune) avec tous les satellites connus. Une réalisation exceptionnelle que Ducommun exposait à ses frais, pour la plus grande joie des Chauxois.


On peut également voir l’Astrarium de Giovanni Da Dondi, un travail remarquable qui indique le temps, ainsi que les positions des sept planètes correspondantes, basé sur les travaux de Claudius Ptolémée. L’objet présenté est une reconstitution, l’original ayant été détruit au XVIème siècle…



On peut surtout y trouver la fameuse pendule " La Cigogne et le Renard "  réalisée par Pierre Jaquet-Droz.


Le château des monts, qui abrite le musée d’horlogerie du Locle, accueille l’Automate dessinateur. Au moyen d'une pointe, il peut exécuter deux dessins sur les quatre programmables, avec au choix: Un chien (" mon toutou "), un portrait de Louis XV, un portrait de Louis XVI et Marie-Antoinette et le plus drôle, une allégorie : Cupidon montant un char à papillon.
Exécuté principalement par Henri-Louis et Jean-Frédéric Leschot, cet automate est comme la Musicienne, criant de réalisme dans son fonctionnement.
Il dessine en plusieurs étapes, commençant par le crayonné et finissant par les détails, le tout accompagné des mouvements types d’un vrai dessinateur.





Le château contient de très belles pièces, notamment des réalisations de Jaquet-Droz appartenant à la collection Sandoz ; mais au-delà de son contenu, le contenant mérite que l’on s’y attarde aussi.
Le château des monts est donc situé en bordure du  Locle. Et c’est en fait une des maisons historiques de l’horlogerie. Au fil des décennies  La demeure est passée entre les mains des familles Sandoz-Gendre, Dubois, Ducommun et Nardin…
La plupart de ces noms sont assez célèbres dans l’horlogerie et les liens de parenté souvent avérés.
Il faut bien comprendre qu’au XVIII-XIXème, les familles étaient étendues, la population peu nombreuse et que les mariages se faisait très souvent entre membres de la bourgeoisie de la province Neuchâteloise ; catégorie encore moins répandue que les horlogers-paysans.   
En dehors de l’aspect historique, en faisant un joyau architectural de l’horlogerie, le château des monts est situé dans un cadre parfait, si évidemment, le château et son parc sont entretenus " à la Suisse " ;  c’est surtout le pourtour qui est impressionnant : le parc du château est bordé par un ensemble de champs, d’arbres et de clairières qui vous plongent dans l'univers d'Heidi.    







Enfin, le clou de l’exposition, la pièce maîtresse des réalisations de Jaquet-Droz : l’androïde " Ecrivain " conservé dans le Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel.
Ce bâtiment est captivant. Car il a été conçu et construit d’emblée pour être un musée, un fait rarissime avant le XXème siècle.
C’est aussi un témoignage parfaitement conservé de la vision des arts et des métiers au XIXème : l’entrée principale du musée comporte un triptyque de fresques allégoriques concernant les arts, l’industrie et la religion, qui étaient les préoccupations fondamentales de ses mécènes.     

Le MAHN abrite également de très belles réalisations de la famille Jaquet-Droz. On peut citer par exemple une horloge de vestibule, qui se présente sous la forme d’une cage à oiseaux chanteurs à l’échelle 1:1, le centre de la cage étant occupé par des tiges de cristal qui figurent un jet d’eau. Lorsque les oiseaux chantent, le cristal tourne et l’effet " eau " est saisissant.


There are also more classical pieces, such as a walnut clock created by JF Leschot, with magnificently designed hands.



On trouve aussi des pièces plus classiques, comme une horloge en noyer réalisée par JF Leschot, avec des aiguilles  magnifiquement dessinées.

Enfin, l'une des pièces les plus fascinantes vient de la collection du musée Patek ; Il s’agit d’une montre de carrosse baptisée " les oiseaux ", présentant six complications : phase de lune, GMT, réveil, sonnerie au passage, répétition à la demande et foudroyante!! Un véritable assistant personnel du début du XIXème.



Mais ce tour de force horloger s’efface devant la prouesse de " l’Ecrivain " ; comme expliqué au début de l’article, c’est une avancée majeure dans les calculateurs et c’est de loin la plus complexe des réalisations de Jaquet-Droz. (Environ 6000 pièces, contre 600 pour une grande complication horlogère actuelle).



On porte sur cet androïde un regard sans doute très différent du regard qu’ont put y porter nos aïeux. En effet, du point de vue de l’amateur d’horlogerie, le spectacle de l’androïde écrivant consciencieusement à la plume un texte de 43 caractères personnalisés, s’efface devant  la mise en branle de sa mécanique.  
L’idée de 3D, aujourd’hui au cœur de l’horlogerie, mais aussi de la robotique d’entreprise et des loisirs numériques, a pris une forme concrète avec ce genre d’automate.



Les 40 cames sont contrôlées par un disque personnalisable, situé dans la partie basse du dos de l’androïde, (26 minuscules et 14 majuscules);  Elles contiennent les informations pour que l’Ecrivain, puisse écrire en abscisse, ordonnée et pour contrôler la force imprimée au trait. La mécanique doit être conçue en conséquence, assez souple et précise pour traiter des informations très différentes suivant le texte.
Quand on sait que dans un mouvement de montre, chaque roue doit être à une place précise, avec une denture précise, pour recevoir une information linéaire, on prend alors conscience de l’exploit réalisé par JD en 1773!
Car la mise au point d’un tel automate (qui a pris cinq ans), a impliqué d’ignorer une bonne partie des règles de l’horlogerie, pour faire appel à d’autres disciplines, notamment l’anatomie, la structure des bras de l’automate étant inspirée par celle des êtres de chair et d’os.



D’ailleurs, Pierre Jaquet-Droz, en tant que prothésiste renommé, a pu mettre à profit ses connaissances médicales pour concevoir l'androïde. Et certains nobles et les bourgeois d’Europe se pressaient dans sa demeure montagnarde, pour bénéficier de sa médecine.
Si certains venaient pour bénéficier des soins de JD, d’autres se déplaçaient pour assister à la démonstration du fonctionnement de ses automates. Ceux-ci ont en effet été également les ancêtres des " Talking-Pieces ", si chères aux foires horlogères actuelles.



Et cette vocation ne s’est pas démentie : Jaquet-Droz, dans le cadre du partenariat avec Automates et Merveilles, a convié des collectionneurs, des journalistes et une partie de la blogosphère horlogère à un événement destiné à médiatiser ces " Talking-Pieces " vintage.
Et c’est dans des conditions de confort et de sécurité inimaginables au XVIIIème siècle, que nous avons assisté au cocktail de l’exposition à Neuchâtel.  Celui-ci s’est poursuivi par un diner à l’hôtel du Pérou. Clou de la soirée, un feu d’artifice personnalisé en plein Neuchâtel, avec des animations d’Oiseaux Chanteurs (l’une des spécialités de la famille JD) !  

Thiebault Benz (Jaquet Droz), Ariel Adams (A Blog To Read), Marc-André Deschoux (The Watch TV), Alexander Friedman (Watchonista)






Le lendemain, nous avons pu visiter le MIH et le château des monts, sous un soleil resplendissant. C’était une joie de pouvoir bénéficier des commentaires avisés de Vincent Davaux et de rencontrer nos amis du web horloger Parisien.

Le web horloger Français par Toutatis de Passion Horlogère: Vinvent Daveau (L'express), Malik "pifpaf" Bahri (Watchonista), René Giroud (Pole Horlogerie), Jean-Philippe Tarot (Montres de Luxe), Thomas Gisclard (The Watch Observer), Stephan Ciejka (La Reveue des Montres), Alexander Friedman (Watchonista) The French horological web by Toutatis from Passion Horlogère: Vinvent Daveau (L'express), Malik "pifpaf" Bahri (Watchonista), René Giroud (Pole Horlogerie), Jean-Philippe Tarot (Montres de Luxe), Thomas Gisclard (The Watch Observer), Stephan Ciejka (La Reveue des Montres), Alexander Friedman (Watchonista)



L’exposition se déroule jusqu’au 30 septembre, avec de nombreuses démonstrations programmées des automates.
Pour les passionnés européens, ça serait une honte de ne pas assister à cette manifestation en personne, tant ces androïdes représentent un tournant majeur pour l’horlogerie, mais aussi pour de nombreuses spécialités artistiques ou scientifiques.  D'autant plus que le voyage jusque dans le canton de Neuchâtel est devenu aisé.
Pour ceux qui sont loin, j’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire ce sujet qu’on peut en avoir à assister à Automates & Merveilles.

Alerte spoiler ! Le texte suivant révèle la majorité du contenu de l’exposition Automates & Merveilles, si vous comptez assister à cette exposition (vous devriez, vu comment il est devenu facile de voyager), ne le lisez pas.  Ajoutez à vos favoris, pour pouvoir comparer avec vos impressions ultérieurement.

“L’écrivain” :




Marc Hayek accueille les convives:


Vous êtes confortablement assis devant votre PC ? Ce matin ou ce soir, vous étiez presque aussi confortablement assis dans votre voiture ? La clim', le porte gobelet, la sono, ou pour les plus puristes, les suspensions hydropneumatiques.
Vous voguez vers le boulot ou la maison, en toute quiétude, sur une mer d’huile, tant les routes sont bien asphaltées.
Quand il s’agit d’aller en vacances, moyennant  quelques pauses et quelques excès de vitesse, ça prend  la demi-journée ; le matin on est en mégalopole, l’après-midi on a les pieds dans l’eau ou dans la neige.
Si le trajet est trop long, hop, on saute dans un avion, et 24 heures plus tard on est sur un autre continent.

Voyager, c’est devenu d’une facilité qui confine à la banalité. Mais à la fin du XVIIIème siècle, c’était une autre paire de manches. Les routes étaient, pour les plus belles, vaguement pavées; le plus souvent, c’étaient de piètres chemins de terre battue ou de pierres concassées ; où les bandits de grand chemin, écumants, faisaient office de feux rouges et de radars.  A dos de cheval ou en calèche, on pouvait parcourir au mieux quelques dizaines de kilomètres par jour, et il fallait se hâter de trouver une auberge, par risque d’être dévoré par les loups.

Pourtant, malgré les cahots, les dangers et les intempéries, tous les grands des cours d’Europe venaient rendre visite à Pierre Jaquet-Droz, en sa demeure perdue dans les montagnes, à la Chaux-de-Fond.
Aujourd’hui un tel engouement peut paraître démesuré, mais il faut replacer l’œuvre de JD dans son contexte historique.
Les androïdes, pièces maîtresses de la collection d’automates de JD, constituent un saut quantique dans l’histoire des calculateurs.
Si une machine d’Anthycitère est le meilleur exemple d’un calculateur antique (elle permettait de faire de complexes calculs calendaires, astronomiques, etc.), elle n'était ni programmable, ni autoalimentée …



Les plus grandes inventions récentes (la DS de 1955, le Concorde, le Macintosh, Internet protocole http), ne furent pas l’invention d’une nouvelle technologie, mais la convergence de plusieurs technologies de pointe, ces combinaisons augmentant exponentiellement les capacités individuelles de chaque invention.
Le réalisme atteint par les androïdes de Jaquet-Droz est tel, que leur créateur  a failli passer sur le bûcher pour sorcellerie, lors d’une des nombreuses présentations en cours royales!




En effet, YouTube n’étant pas encore été inventé en 1758, il fallait se déplacer physiquement pour faire démonstration de son travail. Début avril 1758, Pierre Jaquet-Droz avait déjà 37ans et son travail exceptionnel dans les grandes horloges était connu dans tout le canton. Lord Georges Keith, gouverneur de la province de Neuchâtel et bien introduit dans les cours européennes, permit à PJD d’être présenté à la cour du roi d’Espagne, par l’intermédiaire de Don Jacynto Jovert.
PJD et son ouvrier, Jacques Gevril (qui donne son nom à une marque bon marché de montres Espagnoles), ainsi que son beau-père, Abraham-Louis Sandoz-Gendre (dont le journal narre ce périple en détail)  vont parcourir 1500 km dans un chariot spécialement aménagé pour embarquer six horloges. Ce périple de 49 jours (soit une fantastique moyenne de 30 km par jour, plus lentement qu’à pied),  se solde par une déconvenue.
Le Roi d’Espagne est retenu par la maladie de sa femme Marie-Thérèse du Portugal ; et seule  la providentielle hospitalité de Don Jacyntho Jovert leur permet d’éviter un retour prématuré, qui les aurait laissés fort marris;
Leur bienfaiteur suivant les précieuses recommandations de Georges " Milord Maréchal " Keith,  accueille Jaquet-Droz et ses compagnons avec la prodigalité que l’on accorderait d’habitude à des membres de la famille proche. Nos amis, reconnaissants, vont profiter des trois mois d’attente pour réparer toutes les horloges et montres de la maison du seigneur Espagnol. La générosité de Don Jovert paiera jusqu’à nos jours, son nom étant immortalisé au travers de la résurrection de la maison Jaquet-Droz par le Swatch Group. 

Mme Hayek:


Après le décès de la reine, Ferdinand VI revient aux affaires en septembre 1758. Il faut savoir que le souverain était plus artiste que guerrier et qu'au cours de son règne de 13 ans, il a systématiquement favorisé les arts et la culture, notamment en soutenant le fameux castrat Farinelli.
L’équipe de Jaquet-Droz est alors enfin reçue au palais royal et la démonstration des horloges s'avère triomphale. L'assortiment de six horloges embarqué par  Jaquet-Droz et ses compagnons comprenait les pièces suivantes:

-Une pendule longue-ligne.

-Une horloge avec carillon, jeu de flûtes et serinette (du verbe « seriner »).

-Une pendule appelée " Le Nègre ", qui répondait à diverses questions en frappant sur un timbre, par exemple: quelle heure est-il? (Le fonctionnement de cette horloge reste à ce jour nébuleux).

-Une pendule appelée " La Cigogne et le Renard ". Avec une décoration en hommage à la fable de La Fontaine. 

-Une pendule à " mouvement perpétuel ", se remontant d'elle-même par l'effet de la dilatation de métaux différents (une ancêtre de l’Atmos).

-La pendule " Le berger " et le chien. Ce dernier surveillait une corbeille de pommes. Si on retirait une pomme, il  se mettait à aboyer. Apparemment, l’aboiement était tellement réaliste qu’il entraîna l’aboiement du chien de SAR Ferdinand VI et fit fuir de la pièce quelques courtisans effrayés (le chien du roi semblait plus courageux que les courtisans…). Cette horloge ultra-complexe comporte toute une série de figures articulées, dont un berger, dans un décor champêtre, chaque personnage produisant un son qui lui est propre.

Trois de ces pièces furent vendues pour 2000 pistoles à la cour, une fut offerte à Don Jovert; la " Cigogne et le Renard " ainsi que " le Berger " et son chien, furent offertes au roi Ferdinand VI.   Ce fut sans doute l’un des derniers moments de joie de la vie de Ferdinand VI : celui-ci décédera l’année suivante à 45ans, terrassé par le chagrin de la perte de son épouse…

Cette démonstration éclatante du génie de Pierre Jaquet-Droz se répandit comme une trainée de poudre à travers toute l’Europe,  ce qui lui ouvrit les portes de nombreuses cours.
Du coup, en plus d’être un précurseur dans l’horlogerie, les systèmes d’informations et la robotique, Jaquet-Droz fut aussi un précurseur dans le business horloger (il a notamment beaucoup vendu de montres en Chine, via sa filiale Londonienne).

10 ans après l’exploit Madrilène, Pierre Jaquet-Droz se devait de se renouveler.  Secondé par son fils, Henri-Louis et son fils adoptif et apprenti, Jean-Frédéric Leschot, il mit cinq ans à concevoir quatre automates, dont trois ont été conservés jusqu’à aujourd’hui. 
Le quatrième automate fut un diorama géant, " La Grotte ", représentant un palais taillé dans le roc avec son jardin français, ponctués par une série de figurines animées. Sa grande taille (il faisait une surface de plusieurs mètres carrés) causa sa perte. Durant la tourmente des aventures Napoléoniennes, les trois androïdes changèrent beaucoup de main, au gré des infortunes.  Mais le diorama " La Grotte " était quasi intransportable dans des conditions de sécurité acceptable; selon toute évidence, cela conditionna sa disparition. 


Les trois automates restants sont des summums de créativité et de bienfacture.

Honneur aux dames, le musée d’horlogerie de la chaux de fond héberge la Musicienne. Elle a été principalement réalisée par Henri-Louis, qui achevait alors ses études musicales.

Habituellement, les automates musicaux, comme les oiseaux chanteurs, simulent la mélodie au travers de mouvements silencieux synchronisés via une sonorisation interne, le mécanisme étant généralement situé dans le socle…
La Musicienne va, elle, au bout du concept. Tout d’abord, elle représente une jeune fille à l’échelle 1/1, et comme expliqué précédemment, c’est un androïde: le corps héberge donc le mécanisme qui va actionner les mains et les doigts (tous indépendants) de l'automate. Elle pourrait donc jouer de n’importe quel instrument adapté à sa morphologie.
Elle joue donc réellement du mini-orgue mis à sa disposition, le son est très convaincant…
Mais finalement, quand on regarde la Musicienne jouer, on est si absorbé par la fluidité et la grâce de ses mouvements qu’on ne fait pas vraiment attention à la musique. Le spectacle est réellement bluffant et si c’est mécaniquement la moins complexe du triptyque, c’est la plus émouvante.






Le Musée International d’Horlogerie (MIH) de la Chaux-de-Fond qui abrite la musicienne, mérite qu’on s’y attarde. La Chaux est l’un des centres historiques de l’horlogerie et les montres sont au centre de l’économie et du patrimoine de la ville. Et ce musée, crée en 1902 sur conseil de la Confédération, rend un hommage exhaustif à l’horlogerie, avec plus de 5000 pièces exposées.
En comparaison, le musée Patek compte plus de montres rares et de pures pièces de collection, alors que Le musée de la chaux compte énormément de pièces historiques, voire charnières.

A titre d’exemple, on peut y trouver le fameux planétaire de François Ducommun: c’est un planétaire intégral et presque à l’échelle, qui représente l’ensemble du système solaire connu en 1816 (donc sans Neptune) avec tous les satellites connus. Une réalisation exceptionnelle que Ducommun exposait à ses frais, pour la plus grande joie des Chauxois.


On peut également voir l’Astrarium de Giovanni Da Dondi, un travail remarquable qui indique le temps, ainsi que les positions des sept planètes correspondantes, basé sur les travaux de Claudius Ptolémée. L’objet présenté est une reconstitution, l’original ayant été détruit au XVIème siècle…



On peut surtout y trouver la fameuse pendule " La Cigogne et le Renard "  réalisée par Pierre Jaquet-Droz.


Le château des monts, qui abrite le musée d’horlogerie du Locle, accueille l’Automate dessinateur. Au moyen d'une pointe, il peut exécuter deux dessins sur les quatre programmables, avec au choix: Un chien (" mon toutou "), un portrait de Louis XV, un portrait de Louis XVI et Marie-Antoinette et le plus drôle, une allégorie : Cupidon montant un char à papillon.
Exécuté principalement par Henri-Louis et Jean-Frédéric Leschot, cet automate est comme la Musicienne, criant de réalisme dans son fonctionnement.
Il dessine en plusieurs étapes, commençant par le crayonné et finissant par les détails, le tout accompagné des mouvements types d’un vrai dessinateur.





Le château contient de très belles pièces, notamment des réalisations de Jaquet-Droz appartenant à la collection Sandoz ; mais au-delà de son contenu, le contenant mérite que l’on s’y attarde aussi.
Le château des monts est donc situé en bordure du  Locle. Et c’est en fait une des maisons historiques de l’horlogerie. Au fil des décennies  La demeure est passée entre les mains des familles Sandoz-Gendre, Dubois, Ducommun et Nardin…
La plupart de ces noms sont assez célèbres dans l’horlogerie et les liens de parenté souvent avérés.
Il faut bien comprendre qu’au XVIII-XIXème, les familles étaient étendues, la population peu nombreuse et que les mariages se faisait très souvent entre membres de la bourgeoisie de la province Neuchâteloise ; catégorie encore moins répandue que les horlogers-paysans.   
En dehors de l’aspect historique, en faisant un joyau architectural de l’horlogerie, le château des monts est situé dans un cadre parfait, si évidemment, le château et son parc sont entretenus " à la Suisse " ;  c’est surtout le pourtour qui est impressionnant : le parc du château est bordé par un ensemble de champs, d’arbres et de clairières qui vous plongent dans l'univers d'Heidi.    







Enfin, le clou de l’exposition, la pièce maîtresse des réalisations de Jaquet-Droz : l’androïde " Ecrivain " conservé dans le Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel.
Ce bâtiment est captivant. Car il a été conçu et construit d’emblée pour être un musée, un fait rarissime avant le XXème siècle.
C’est aussi un témoignage parfaitement conservé de la vision des arts et des métiers au XIXème : l’entrée principale du musée comporte un triptyque de fresques allégoriques concernant les arts, l’industrie et la religion, qui étaient les préoccupations fondamentales de ses mécènes.     

Le MAHN abrite également de très belles réalisations de la famille Jaquet-Droz. On peut citer par exemple une horloge de vestibule, qui se présente sous la forme d’une cage à oiseaux chanteurs à l’échelle 1:1, le centre de la cage étant occupé par des tiges de cristal qui figurent un jet d’eau. Lorsque les oiseaux chantent, le cristal tourne et l’effet " eau " est saisissant.


There are also more classical pieces, such as a walnut clock created by JF Leschot, with magnificently designed hands.



On trouve aussi des pièces plus classiques, comme une horloge en noyer réalisée par JF Leschot, avec des aiguilles  magnifiquement dessinées.

Enfin, l'une des pièces les plus fascinantes vient de la collection du musée Patek ; Il s’agit d’une montre de carrosse baptisée " les oiseaux ", présentant six complications : phase de lune, GMT, réveil, sonnerie au passage, répétition à la demande et foudroyante!! Un véritable assistant personnel du début du XIXème.



Mais ce tour de force horloger s’efface devant la prouesse de " l’Ecrivain " ; comme expliqué au début de l’article, c’est une avancée majeure dans les calculateurs et c’est de loin la plus complexe des réalisations de Jaquet-Droz. (Environ 6000 pièces, contre 600 pour une grande complication horlogère actuelle).



On porte sur cet androïde un regard sans doute très différent du regard qu’ont put y porter nos aïeux. En effet, du point de vue de l’amateur d’horlogerie, le spectacle de l’androïde écrivant consciencieusement à la plume un texte de 43 caractères personnalisés, s’efface devant  la mise en branle de sa mécanique.  
L’idée de 3D, aujourd’hui au cœur de l’horlogerie, mais aussi de la robotique d’entreprise et des loisirs numériques, a pris une forme concrète avec ce genre d’automate.



Les 40 cames sont contrôlées par un disque personnalisable, situé dans la partie basse du dos de l’androïde, (26 minuscules et 14 majuscules);  Elles contiennent les informations pour que l’Ecrivain, puisse écrire en abscisse, ordonnée et pour contrôler la force imprimée au trait. La mécanique doit être conçue en conséquence, assez souple et précise pour traiter des informations très différentes suivant le texte.
Quand on sait que dans un mouvement de montre, chaque roue doit être à une place précise, avec une denture précise, pour recevoir une information linéaire, on prend alors conscience de l’exploit réalisé par JD en 1773!
Car la mise au point d’un tel automate (qui a pris cinq ans), a impliqué d’ignorer une bonne partie des règles de l’horlogerie, pour faire appel à d’autres disciplines, notamment l’anatomie, la structure des bras de l’automate étant inspirée par celle des êtres de chair et d’os.



D’ailleurs, Pierre Jaquet-Droz, en tant que prothésiste renommé, a pu mettre à profit ses connaissances médicales pour concevoir l'androïde. Et certains nobles et les bourgeois d’Europe se pressaient dans sa demeure montagnarde, pour bénéficier de sa médecine.
Si certains venaient pour bénéficier des soins de JD, d’autres se déplaçaient pour assister à la démonstration du fonctionnement de ses automates. Ceux-ci ont en effet été également les ancêtres des " Talking-Pieces ", si chères aux foires horlogères actuelles.



Et cette vocation ne s’est pas démentie : Jaquet-Droz, dans le cadre du partenariat avec Automates et Merveilles, a convié des collectionneurs, des journalistes et une partie de la blogosphère horlogère à un événement destiné à médiatiser ces " Talking-Pieces " vintage.
Et c’est dans des conditions de confort et de sécurité inimaginables au XVIIIème siècle, que nous avons assisté au cocktail de l’exposition à Neuchâtel.  Celui-ci s’est poursuivi par un diner à l’hôtel du Pérou. Clou de la soirée, un feu d’artifice personnalisé en plein Neuchâtel, avec des animations d’Oiseaux Chanteurs (l’une des spécialités de la famille JD) !  

Thiebault Benz (Jaquet Droz), Ariel Adams (A Blog To Read), Marc-André Deschoux (The Watch TV), Alexander Friedman (Watchonista)






Le lendemain, nous avons pu visiter le MIH et le château des monts, sous un soleil resplendissant. C’était une joie de pouvoir bénéficier des commentaires avisés de Vincent Davaux et de rencontrer nos amis du web horloger Parisien.

Le web horloger Français par Toutatis de Passion Horlogère: Vinvent Daveau (L'express), Malik "pifpaf" Bahri (Watchonista), René Giroud (Pole Horlogerie), Jean-Philippe Tarot (Montres de Luxe), Thomas Gisclard (The Watch Observer), Stephan Ciejka (La Reveue des Montres), Alexander Friedman (Watchonista) The French horological web by Toutatis from Passion Horlogère: Vinvent Daveau (L'express), Malik "pifpaf" Bahri (Watchonista), René Giroud (Pole Horlogerie), Jean-Philippe Tarot (Montres de Luxe), Thomas Gisclard (The Watch Observer), Stephan Ciejka (La Reveue des Montres), Alexander Friedman (Watchonista)



L’exposition se déroule jusqu’au 30 septembre, avec de nombreuses démonstrations programmées des automates.
Pour les passionnés européens, ça serait une honte de ne pas assister à cette manifestation en personne, tant ces androïdes représentent un tournant majeur pour l’horlogerie, mais aussi pour de nombreuses spécialités artistiques ou scientifiques.  D'autant plus que le voyage jusque dans le canton de Neuchâtel est devenu aisé.
Pour ceux qui sont loin, j’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire ce sujet qu’on peut en avoir à assister à Automates & Merveilles.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire