vendredi 25 mai 2012
Tudor Pelagos & Black Bay @ Baselworld 2012
Au début de chaque Baselworld, les regards des commentateurs oscillent frénétiquement entre les deux stands stars, le stand Rolex et le stand Patek.
Pourtant, pour bien voir les futurs best-sellers de cette édition 2012, il fallait tourner la tête légèrement à droite quand on faisait face au stand Rolex.
En effet, même si le Stand Tudor est absorbé par l’inexpugnable bunker Rolex, les nouveautés présentées par Tudor ont concentré le feu de tous les photographes et de toutes les attentions.
L'excellent Chrono Héritage présenté en 2010 n'était donc pas un «single-shot», ce qui tend à confirmer que les créations de Tudor servent de «laboratoire» au groupe Rolex.
Disons-le d’emblée, c’est le plus gros carton de Baselworld 2012. Tudor n’a pas seulement présenté la montre la plus désirable du salon, mais les deux montres les plus désirables du salon, en tous cas dans la catégorie abordable. Vous savez, cette catégorie des montres qui ne provoquent pas de divorce, en cas d’achat compulsif.
Je laisse à votre bon soin de leur attribuer la première et la seconde place du classement, en fonction de vos goûts.
La question c’est : pourquoi?
Pour comprendre la réussite que représentent ces produits, il faut comprendre le mythe Rolex. N’étant pas un Rolexophile, je vais vous le décrire d’un point de vue de béotien.
La mythologie Rolex a été popularisée par un autre mythe, celui de James Bond, incarné par Sean Connery. Rolex, c’est la légende de l’homme Alpha des 50-60’. Aventurier, sportif, mais aussi gentleman tout en restant viril, bref, le dernier avatar de l’homme total du XVI-XVII siècle (le Gentilhomme, poète, philosophe, bretteur et cavaleur).
Ce mythe de l’exploration, des dernières conquêtes géographiques (profondeur dans la fosse des Mariannes, hauteur au sommet de l’Everest), mais aussi celui des barbouzes, est fondateur de la passion Rolex (en ce qui concerne les barbouzes, voir le récent et excellent « Killer Elite » se déroulant à la fin des 70’, où Robert de Niro et Jason Statham sont dotés de Rolex Submariner 5513 ou 1680). Il faut admettre que nombre de commandos de marine étaient équipés de Rolex durant les 50-60’s, damant le pion à Panerai, pourtant fournisseur historique des nageurs de combat de l’Axe.
Rolex, pour les plongeurs les plus richement dotés, mais aussi Tudor, pour les corps d’armée plus économe
Pour les puristes Rolex & Tudor, l’idéal horloger réside dans une montre fonctionnelle, étanche, lisible, compacte et qui conserve l’élégance des galbes chers aux années 50.
Or, depuis l’abandon progressif du tritium et des cadrans peints, dans les années 1980, une partie des fans de Rolex sur internet sont frustrés, tant la volonté du «zéro défaut» de Rolex l’a parfois conduit sur les voies de l’embourgeoisement.
Et contre toute attente, c'est la marque «abordable» de Rolex, Tudor, qui présente cette année deux montres totalement dans l'esprit «aventurier» des années 50.
Si ces deux montres diffèrent totalement dans la réalisation, elles répondent au même cahier des charges : produire des montres de plongée conformes aux critères qui ont fait le succès originel de la Submariner.
D’un côté, les ingénieurs ont regardé vers les années 50-60, en reproduisant le plus fidèlement possible une plongeuse militaire.
De l’autre, ils ont regardé vers le futur en créant la plongeuse mécanique la plus moderne possible, mais répondant exactement aux mêmes critères.
Tout d’abord, la plus désirée ? Espérée ? Demandée ? La Tudor Black Bay.
La BB s’inspire théoriquement de la Tudor 7922-7924 des 50’s ; cette Tudor à vocation professionnelle, voire militaire, disposait d’une lunette bleue ou plus rarement rouge.
Côté boitier, c’est également très fidèle au vintage: lunette métallique, «Big Crown » sans épaulements, verre saphir bombé (l’esthétique du vintage sans les soucis du plexi). Les cornes sont même assez fines de face mais, et c'est le seul point noir, elles sont un peu trop épaisses sur le flanc et font donc trop modernes, un défaut déjà aperçu sur la « New Migauss ».
Pour comprendre le cadran, il faut tout d’abord parler de la lunette; l’équipe de chez Tudor a fait le choix étonnant de reprendre la lunette rouge; il faudra attendre un peu pour la version bleue. Ce choix souligne bien la police dorée du cadran. Si c’est un choc pour certains, c’est assez cohérent pour la maison à la couronne, notamment après le succès des lunettes vertes chez Rolex.
Mais surtout, après des hectolitres de lunettes Pepsi en vintage, Tudor franchit le Rubicon des sodas qui bullent, en proposant enfin la Rolex Coca-Cola, pardon, la Tudor Coca.
Le charme de la montre vient de sa chaleur, de la combinaison d’index, d’écriture et d’aiguilles dorés, posés sur un cadran bombé et combinés avec la lunette rouge/bordeaux. Tout cela donne à la montre la chaleur d’un péplum en technicolor.
Selon le kit presse, le cadran est noir, mais selon mes yeux, et selon mon EOS 60D, il semble légèrement brun, comme sous l’effet d’un radium imaginaire. A moins que les index/police/aiguilles SuperGilt (© Watchonista) rayonnent visuellement sur l’ensemble du cadran…
Selon les puristes Tudor, la montre ne devrait pas avoir d’aiguilles Snowflake, qui ne matchent pas historiquement avec ce type d’index (il devrait y avoir des aiguilles double pencils)… Ainsi que quelques autres détails, comme l’insert rouge entre la couronne et le boitier (qui ne choque absolument pas une fois la montre en main).
Comme toujours, si la critique est facile, l’art est difficile. Aujourd’hui, par exemple, une des seules tentatives presque parfaites de refaire une Néo-Vintage, est la Jaeger leCoultre Polaris. Si cette dernière est quasi-conforme à la vintage, elle souffre cependant de quelques défauts, qui prouvent l’impossibilité (?) de l’exercice : La montre est relativement froide, les index « Luminova vintage » sont surfaits, mais surtout le prix, qui avoisine les 12.000€, est totalement prohibitif.
Donc, si l’expertise vintage de cette Polaris est très réussie, par contre le résultat produit est un peu mitigé.
Par comparaison, la Tudor Black Bay, ou certaines Panerai Néo-Vintage, sont beaucoup plus amusantes pour des tarifs plus en rapport avec le mouvement, bien qu’elles ne soient pas des copies conformes.
Aujourd’hui, il est donc vain de vouloir reproduire à l’identique les glorieuses « oldies » :
-La politique interne des maisons d’horlogerie, et en particulier celle des groupes d’horlogerie, interdit certaines choses ; par exemple, il semble que les aiguilles Mercedes (qui iraient mieux avec ces index) soient plutôt réservées aux Rolex.
-Le niveau qualitatif et la constance de celui-ci a fait un bond quantique depuis les années 50-60’: bon nombre de patines et autres lunettes délavées, venaient des défauts de fabrication de l’époque.
-Les procédés se sont fortement industrialisés, et les techniques de fabrication des cadrans de l’époque ont été oubliées.
- Les interdictions successives du Radium, puis du Tritium, rendent caduque le vieillissement accéléré des index/cadrans.
-Personne ne possède la machine à vieillir les montres, d’autant que le vieillissement est inhérent à son acquéreur original (CF l’article sur la PAM382 « Gonzo »).
Moralité, il est bien plus important qu’une montre « sonne » vintage avec charisme, plutôt qu’elle soit une impossible copie conforme.
Autre code vintage que cette Black Bay respecte, le prix. Même s'il reste moderne, c’est l’une des néo-vintages les moins chères du marché (citons également la Longines Legend Diver).
La Tudor BB sera vendue environ 2400€ dans sa version sur cuir vieilli (que vous vous empresserez de mettre sur NATO) et 2600€ dans sa version sur bracelet acier.
Pour une vintage certifiée et de qualité, il faut compter 10 fois plus, les becquerels sont offerts.
NB : Ces deux montres sont équipées de l’ETA 2824 (d’ailleurs, Tudor communique clairement dessus, ce qui est rare, donc louable), fréquencé à 28800a/h pour 38h de RdM théorique. Le 2824 possède la qualité de son défaut, sa banalité, consécutive à sa diffusion colossale, le met à l'abri des gros problèmes de SAV. Les compétences et les pièces seront disponibles en abondance et pendant très longtemps.
L’autre bombe présentée par Tudor, c’est la Pelagos (en grec= la haute mer). Si la Black Bay se grime en mamie des Submariner, la Pelagos se pare des habits du petit-fils prodige.
C’est le remake ultra-futuriste des fameuses Tudor de plongée vintage, comme la « Marine Nationale ».
C’est d’une part un exercice futuriste, mais aussi réaliste. Plutôt que proposer une pièce démesurée avec une étanchéité inaccessible aux meilleurs plongeurs, Tudor c’est focalisé sur les aspects pratiques et esthétiques.
Depuis des décennies, la Submariner est la source d’inspiration principale des petits fabricants en mal de créativité.
Et force est de constater que, notamment du côté des allemands et parfois même des américains, certains parvenaient à proposer des plongeuses plus crédibles dans le rôle de la tool-watch, que celles proposées par Rolex.
Les Submariner, à force de devenir des produits de luxe, ce sont embourgeoisées. Pour damer le pion aux « petits », qui produisent parfois du Rolex vintage avec un certain succès, il fallait revenir à la source.
Et le retour aux sources c'est les clefs de la réussite de cette Pelagos. Technique, ultramoderne dans sa conception et ses détails, mais aussi et surtout épurée pour laisser le fonctionnalisme s’exprimer.
Première grosse surprise, l’utilisation du titane brossé pour le boitier ; si le matériau est devenu le grand classique de l’horlogerie, remplaçant même l’acier dans certaines maisons, son utilisation était quasi-inexistante dans le groupe Rolex…
Après sa phase d’oxydation, le titane va prendre une légère couleur brune (apportant une relative furtivité à la pièce). L’aspect mat se retrouve aussi sur la lunette en céramique microbillée.
Les carrures, qui font sensiblement le volume de celles de la Black Bay, paraissent un poil moins grosses que sur cette dernière : le titane brossé et le boitier un peu plus gros (42mm) contribuent à affiner le visuel des carrures.
Sur les flancs on retrouve, coté couronne, des épaulements très bien faits, sobres et acérés. De l’autre côté se trouve une valve à hélium. Cette valve est loin d’être indispensable en plongée de loisir ou semi-pro. Comme sur beaucoup de montres, elle est intégrée à 9h, ce qui brise un peu l’harmonie du boitier ; une intégration entre les cornes ou à 7h30 ou 10h30 serait plus subtile…
Le dernier point notable, c’est le bracelet en titane. Une série de dispositifs, au niveau de la boucle déployante, permettent au bracelet de s'adapter au diamètre du poignet, qui varie selon la profondeur: l'épaisseur de la combinaison de plongée décroît avec l'augmentation de la pression.
Mais au quotidien, ce qui est vraiment important pour les desk-divers, c’est de savoir si l’autoréglage est assez
fin pour s’adapter aux températures estivales, selon la dilatation du poignet du porteur. Les heureux propriétaires pourront partager leurs expériences dans quelques mois. Nul doute que si cela fonctionne, Tudor aura trouvé la pierre philosophale de la boucle déployante sur bracelet métal.
Le cadran donne tout son sens à la furtivité et à l’épure que représente cette montre. Tout d’abord, il est totalement mat (à l’image du boitier), et il présente un rehaut biseauté, avec des créneaux (oui, comme sur les Seiko Diver 200) pour laisser la place aux index NON CERCLES !
Des index non cerclés de métal, on n’est pas encore complètement revenu aux cadrans peints, car les index sont apposés, mais c’est déjà un pas de géant pour les amateurs de tool-watches.
Les index sont carrés, ce qui matche, parait-il, avec les superbes aguilles snowflake (vous noterez la finition noire au centre), tant mieux ! Le tout lume bleu sur fond noir, comme la SDDS, c’est joli, ça fait technique ; mais est-ce que la brillance est meilleure qu’avec une couleur verte ? Il faudra aussi tester.
La montre présente également peu de littérature pour un cadran de Submariner. Mais surtout, le cadran en dépit de son absence de clinquant, fait très qualitatif : tous les détails, comme le guichet de date ou les découpes du rehaut, sont très très soignés.
Si la Black Bay est un hommage réussi aux montres d’aventuriers et autres plongeurs des années 50, la Pelagos est la parfaite montre d’aventurier des années 10, efficace, épurée, technique, tous les éléments sont réunis pour la joie des Desk-Divers. Le prix sera d’environ 3300€, avec le bracelet titane (ce serait criminel de ne pas le prendre), ce qui est très correct pour un mythe ressuscité.
La guerre commerciale fait rage sur tous les fronts, notamment sur celui des plongeuses; Du Japon aux USA, en passant par l’Eurasie, Oméga, Rolex, Breitling et Tag Heuer se battent pour vendre le plus de montres possible, en oubliant parfois la passion simple des amoureux de montres.
Ce qui vient de se passer chez Tudor est très sain et positif. L’équipe créative de Tudor a réussi à manœuvrer le supertanker de Plan-les-Ouates avec brio. Ces nouveautés, pensées par des passionnés pour des passionnés, prouvent que la création, que les produits les plus cool, ne sont pas l'apanage des horlogers indépendants ou des marques de niches…
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